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Written by Mahdy Ibn Salah  •  Category: Spiritualité  •   •  Hits: 7699

 

 

On parle beaucoup mais on pratique peu…

 

Voilà, en une phrase, l’état général et actuel de notre communauté. Si j’ai écri ce présent ouvrage que vous saisissez, c’est pour proposer un remède, pour les musulmans de France, au mal qui découle de ces belles paroles qui ne dépassent pas les langues. Le Prophète avait prédit que : « Vers la fin des temps, apparaîtront des hommes qui dissimuleront leur amour du bas monde par la religion. Ils se vêtiront de peau d’agneau pour que les hommes les voient ainsi. Leurs paroles tellement douces, seront plus délicieuses que le miel tandis que leurs cœurs seront ceux des loups. »[1] Hassan al Basri, qui a vu 70 compagnons qui avaient combattu à Badr, a dit à leur propos en visant ses contemporains : « S’ils avaient vu les meilleurs d’entre-vous, ils auraient dit : « Ces gens-là n’ont aucune part dans l’au-delà ! » Et s’ils avaient vu les mauvais d’entre-vous, ils auraient dit : « Ces gens-là ne croient pas au jour des comptes ! » »[2] Devrions-nous ajouter pour notre époque : « S’ils nous avaient vu, ils auraient dit : « Ces gens-là sont des hypocrites ? » »

 

 

 

En effet, nos yeux ne pleurent même plus car la tristesse a quitté nos cœurs. La poursuite des passions est désormais vive, l’obésité se répand, la paresse dans la pratique en découle et l’Islam est devenu désormais une affaire secondaire ! Les associations, les groupes, et les leaders se multiplient où rares, malheureusement, sont les sincères qui ne désirent pas le Koursi. A l’heure actuelle, en France, les tendances et les croyances sont diverses, les groupes et les voies sont innombrables et chaque secte pourtant se croit seule être celle qui sera sauvée. L’ignorance a atteint un tel degré que l’on n’arrive même plus à distinguer le véridique du charlatan qui vient avec une croyance qui n’a pas d’existence ni à l’intérieur de nos sources ni à l’extérieur de l’esprit. L’épidémie de la jalousie a atteint des proportions démesurées : « Deux loups affamés, disait le Prophète, lâchés au milieu d’un parc à moutons, y commettent moins de dégâts que n’en commettent, dans la religion, la cupidité matérielle de l’homme et son amour des honneurs. »[3] Les sectes pullulent et la violence intracommunautaire en découle. Celui-ci ne rend plus salam et l’on entend là-bas que des gens se revendiquent être : « les seuls croyants ! » Ici, les cœurs des orants pendant la prière fait le tour de ce bas monde, et là-bas on peut apercevoir des coqs picorer à la prière du vendredi. Ce vieux, en colère, ne veut plus revenir à la mosquée, après l’avoir quitté avec les claquettes de cette dernière. La science est devenue un commerce, le Coran dorénavant se vend, on trouvera des librairies dites islamiques qui vendent des ouvrages contenant des profanations de notre religion et, en plus, à des prix faramineux ! Délaisser le fruit pour la coquille met en relief notre degré de sagesse puisque l’on se consacre, désormais, au Tajwid en délaissant le Tawhid. On blâme notre époque alors que la bassesse est en nous ! S’est donc confirmée la sentence Prophétique suivante : « Les gens pieux disparaîtront les uns après les autres et il ne restera que la lie du genre humain comparable aux déchets de l’orge ou de dattes. Allah ne leur accordera aucune attention. »[4]

 

Ce livre est le témoignage d’un musulman de France qui a connu l’égarement et qui propose une voie pour la délivrance. Le chemin du passage de la théorie à la pratique a toujours été une question fondamentale qui m’a énormément préoccupé. Je me souviens avoir écrit, il y a 7 ans de cela, un petit épître qui s’intitulait : « Les clés de la purification intérieure » en réponse à la demande d’une sœur qui désirait savoir comment « augmenter sa foi. » A cette époque, encore novice, je découvrais les profondeurs de la spiritualité musulmane et cultivais une curiosité particulière à l'égard du soufisme. Après, ma rupture avec le mysticisme soufi dû à mon adhésion à un courant littéraliste plus axé sur l’extériorité de l’islam, j’ai viré, par la suite, à l’autre extrême en devenant un farouche opposant de toute spiritualité qui s’éloignerait de la conduite prophétique et qui se rapprocherait de ces nombreuses tariqas égarées que l’on rencontre, de nos jours, et qui se réclament à tort de l’Islam. Jounayd, un pieux prédécesseur soutenait déjà à son époque[5] : « Les vrais hommes du soufisme sont du passé ! Le soufisme est devenu charlatanerie, le soufisme est devenu une gourde à ablutions, un tapis de prières et une tunique bigarrée. Le soufisme est devenu des cris que l’on pousse, une extase simulée et un coup de folie. L’on se trompe, ce comportement n’a rien de commun avec la voie qui permet d’atteindre le but ! »[6] Que doit-on soutenir aujourd’hui ? Quand on rencontre des soufis danser, chanter et désobéir en toute volonté à Dieu, proclamant des paroles et des croyances d’impiété, et prétendant avoir atteint les sommets de la spiritualité ?

 

Je me suis donc éloigné du soufisme, en gardant, toutefois, pendant mon adhérence à ce courant littéraliste ce contact intime avec la spiritualité musulmane et ce goût pour la dimension intérieure de l’Islam. Aujourd’hui, je retourne comme une pierre élancée qui revient à terre au mysticisme soufi et désire concilier la rigueur avec la spiritualité intérieure car le littéralisme me tient toujours à cœur. En effet, c’est la pierre angulaire de ma voie ! L’intelligent, pour moi, n’est pas celui qui recherche la finalité du texte en vue de s’éloigner de sa littéralité en considérant les littéralistes comme des « criminels » comme je l’ai entendu de mes propres oreilles ! Non… L’intelligent véritable est celui dont l’intelligence a saisi qu’elle devait disparaître par elle-même. C’est un paradoxe très significatif ! La voie du soufisme ne regorge-t-elle pas que de paradoxes ? Tu dois mourir pour vivre, tu dois vouloir ne plus vouloir, tu dois prendre du plaisir à souffrir… Si réfléchir est tendre vers le meilleur alors le plus intelligent des hommes est celui qui saisit qu’il doit abandonner sa raison pour s’anéantir dans la volonté divine car tant que reste une part de volonté propre en soi qui ne concilie pas la volonté divine c’est qu’il demeure en notre cœur des idoles, des finalités distinctes de Dieu qui n’existent qu’en nous car il n’y a pas de divinité en dehors de Lui. C’est pourquoi Allah a dit : « La seule réponse qui sied aux croyants de donner quand ils sont convoqués devant Dieu et Son prophète pour que celui-ci juge leurs différents est de dire : « Nous avons entendu et nous avons obéi ! » Ce sont eux qui réussiront ! »[7] Raisonner, par conséquent, ne signifie rien d’autre qu’obéir car comme le précise Ibn Hazm, on peut toujours raisonner selon le mode conventionnel et traditionnel sans pour autant échapper au courroux mentionné dans le verset suivant : « Il voue au châtiment ceux qui ne raisonnent pas ! »[8] C’est pourquoi l’imam Ghazali disait : « Qu’il existe un état qui soit par rapport à la raison ce que l’éveil est pour le sommeil » et que Jounayd ajoutait : « Toutes les voies sont fermées aux créatures, sauf à celui qui met ses pas dans ceux de l’envoyé de Dieu, qui suit sa règle de conduite et qui demeure sur la route qu’il a tracée. Le chemin de tous les bienfaits lui est alors ouvert. »[9]

 

L’objectif entre les deux dimensions de l’Islam, intérieure et extérieure, est pourtant le même. Spirituellement, il s’agit de disparaître à soi-même pour vivre en Dieu en s’anéantissant dans la contemplation de son Unicité. Et, littéralement, il s’agit de s’affranchir de toutes les idoles qui nous asservissent et nous empêchent d’obéir à Notre Seigneur et de ressembler dans notre manière d’agir au Prophète. L’Islam englobe ces deux dimensions, il exprime la soumission à Dieu à l’échelle des idées et des actes corporels. Séparer ces deux dimensions en se contentant d’une seule témoigne de la déviation par rapport à la voie droite.

 

Déchiré, par des idoles multiples telles que le sexe, l’argent, le pouvoir ou le regard de la masse, le musulman de France se sent comme incapable de résister à cette vague environnementale qui l’asservit à des passions illicites et le rend insouciant des réalités de la vie après la mort ! Être soufi à Paris, c’est vaincre ces attaches qui nous empêchent de tendre vers Dieu et de goûter à la saveur de la foi. L’initiative est donc toute nouvelle puisque rares sont les ouvrages qui proposent une méthodologie pratique de purification de l’âme, en adéquation avec le contexte et qui, de plus, scrutent la profondeur des choses. Fidèle à un enseignement pur de toutes innovations blâmables, je propose dans les pages qui vont suivre de revivifier, pour notre époque, une école spirituelle fidèle à l’orthodoxie musulmane dont la tâche principale sera de régénérer la spiritualité musulmane authentique. J’ai partagé cet épître en deux parties : l’une est théorique et expose la voie à suivre et la seconde est pratique et propose un cheminement composé de sept stations spirituelles.

 

PREMIERE PARTIE

LA THEORIE

 

CHAPITRE I

La spiritualité & le soufisme

 

La spiritualité est un terme qui regroupe en son sein tous les mouvements intérieurs de l’individu par lesquels ce dernier va s’opposer aux forces extérieures qui l’empêchent d’être maître de lui-même. Le soufisme est un courant de l’islam qui s’est donné pour objectif de revivifier la spiritualité authentique, à une époque de dégénération, au moyen d’une méthodologie pratique de vérification des actes du cœur présents dans le saint coran. Le soufisme s’est spécialisé dans la dimension intérieure de l’islam et s’est constitué en science de la réalisation spirituelle du Tawhid. Jounayd définissait le soufisme par les paroles suivantes : « C’est que l’Être divin te fasse mourir à toi-même et qu’Il te fasse vivre par Lui. » Dans une autre maxime il ajoute : « C’est que tu sois avec Dieu, et que tu n’aies plus aucune attache. »[10]

 

Mais beaucoup se sont réclamés du soufisme alors qu’ils ne suivaient pas les lignes directrices de ce courant et ont fondé des voies en totale opposition avec la voie prophétique. C’est pourquoi beaucoup, parmi les littéralistes ont condamné le soufisme comme un courant hérétique dans son entièreté. Je soutiens, pour ma part, la position médiane entre la condamnation et la tolérance du soufisme dans son entièreté. En effet, Ibn Taymiyya soutenait en ce qui concerne le soufisme : « Un groupe a blâmé le soufisme et on dit qu’ils (les soufis) étaient des innovateurs qui sont sortis de la sunna. Un autre groupe les a élevés et ont prétendu qu’ils étaient les meilleurs de la création, les plus parfaits après les prophètes, et ces deux positions en ce qui concerne cette question sont extrêmes ! La justesse est qu’ils (les soufis) font des efforts dans l’obéissance à Dieu comme le font les autres. Il y a parmi eux les premiers, ceux qui ont précédé les autres dans les bonnes actions ceci en fonction de leur effort, il y a aussi parmi eux les gens de la droite. Dans ces deux catégories, il y en a qui font des efforts et se trompent tout comme il y en a qui font des péchés, et se repentent ou ne se repentent pas. Et parmi ceux qui se réclament d’eux, il y a celui qui se fait du tort à lui-même, en désobéissant à Dieu, et se sont aussi réclamé d’eux des groupes d’hérétiques, d’innovateurs, cependant selon les véritables maîtres du soufisme, ils ne sont pas des leurs, comme al Hallaj que beaucoup de maîtres de la voie ont renié et ont sorti du chemin, par exemple al Jounayd Ibn Mohammed, le seigneur de la tribu et d’autres que lui ! Comme le mentionne Abu Abd Rahman Sulami dans « Tabaqat soufia » et comme l’a mentionné al Hafiz Abu Bakr al Khatib dans « Tarikh Baghdad. » »[11] L’éminent Ibn Khaldoun ajoute de son côté un petit complément à l’endroit du soufisme hérétique : «La voie des pratiquants du soufisme se compose de deux voies :

- Une première qui est la voie de la sunna, la voie des anciens et qui se déroule conformément au Livre et à la sunna et à l’imitation des salafs salihs à savoir les compagnons et les suivants ;

- Et une seconde voie, qui, elle, est contaminée par les innovations blâmables et qui est la voie d’un certain groupe de modernes… du nombre de ces pratiquants du soufisme furent Ibn Arabi, ibn Sab’in, ibn Barajan et leurs disciples qui suivirent leurs traces en embrassant leurs sectes.

Ils ont produit quantité d’ouvrages remplis d’une impiété déclarée, d’innovations ignobles et pour justifier cela ils interprètent des expressions littérales du dogme dans le sens les plus extravagants, les plus détestables et tels qu’on se demande quand on les examine, comment on a pu les attribuer à la religion musulmane ou les considérer comme contenues dans la loi religieuse. Que tel ou tel fasse l’éloge de ces gens-là n’est nullement un argument en leur faveur, si élevée soit l’excellence du laudateur, parce que le Livre et la sunna présentent une excellence et un témoignage bien plus considérables que qui que ce soit ! Quant au jugement à porter sur les livres contenant ces croyances pernicieuses et sur leurs exemplaires qui se trouveraient entre les mains des gens tels les Fusus et les Futuhat al Makiyya d’Ibn Arabi, le Budd d’Ibn Sab’in et le Khal’at na’layn d’Ibn Qasi. Le jugement sur ces livres et les livres du même genre, le voici : « Qu’on les fasse disparaître concrètement quand on les trouvera, en les brûlant par le feu et en les lavant à l’eau de sorte que la trace de l’écriture en soit définitivement effacée. On fera cela pour servir l’intérêt général, en matière de religion, par la suppression des croyances hétérodoxes. Il revient donc au détenteur de l’autorité publique de brûler ces livres pour écarter un préjudice général comme il reviendrait à ceux qui les posséderaient de permettre qu’on s’en saisisse pour les brûler. »[12]

 

Le soufisme authentique ne doit pas s’éloigner de la voie prophétique, ni se considérer comme l’expression de l’islam dans sa totalité mais doit constituer un simple chemin vers une pratique entière de la religion musulmane pure de toutes innovations qui lui sont étrangères. « Cette science, disait Jounayd, qui est la nôtre est subordonnée au Livre et à la sunna et quiconque n’a pas appris le Coran, n’a pas transcrit la Tradition, et n’a pas étudié la Loi ne saurait servir d’exemple. »[13] Le soufisme doit nous conduire vers une pratique authentique de l’islam qui ignore la complexité et la division par spécialisation. On rapporte d’un sage : « La science véritable est comparable à une goutte d’eau et ce sont les ignorants qui l’ont complexifiée ! » Allah est unique et la science qui nous mène à Lui doit par conséquent l’être aussi. C’est la science de l’acte meilleur, synonyme de sagesse dont fait allusion un grand nombre de versets parmi lesquels : « Allah a très certainement fait une faveur aux croyants lorsqu’Il a envoyé chez eux un messager de parmi eux-mêmes, qui leur récite ses versets, les purifie et leur enseigne le Livre et la Sagesse, bien qu’ils furent auparavant dans un égarement évident. »[14] La sagesse consiste, en effet, à faire ce qu’il faut, de la manière qu’il faut, au moment où il le faut. Ainsi, la sagesse a besoin de trois vertus chez un individu : la science, la douceur et la retenue. Il n’y a pas de sagesse chez un ignorant, un dur ou un impatient. C’est pourquoi nos prédécesseurs interprétaient la sagesse par la sunna quand celle-ci était liée au Livre comme dans le verset suivant : « Dieu a fait descendre vers toi le Livre et la Sagesse, Il t’a enseigné ce que tu ne savais pas. »[15] Ainsi, la sagesse qui, selon Nakh’i, est la « compréhension profonde des choses » nous permet de lire le coran de la manière authentique afin de le mettre en pratique de la manière authentique. « C’est dire, comme l’affirme Ibn Al-Qayyim, que tout l’ordre de l’existence repose sur cette qualité. Aussi, toute déficience dans l’existence ou dans le serviteur a pour cause une négligence de cette qualité. Voilà pourquoi les hommes les plus parfaits sont ceux qui ont eu la plus grande part et les moins parfaits ceux dont l’héritage en matière de sagesse est des plus réduits. »[16] C’est pourquoi un verset loue admirablement la qualité de la sagesse : « Il donne la sagesse à qui Il veut. Et celui à qui la sagesse est donnée, vraiment, c’est un bien immense qui lui est donné. Mais les doués d’intelligence seulement s’en souviennent. »[17] Le sage est, par conséquent, celui qui connaît la vérité, agit en fonction de cette vérité en touchant au but par ses actes et ses paroles. On pourrait subdiviser la sagesse en deux formes: une sagesse idéologique et une sagesse pragmatique. La sagesse idéologique s’acquiert par l’effort intérieur à redonner leur sens véritable aux éléments qui nous entourent au moyen de l’étude et de la méditation constante du coran. Il s’agit de penser à ce qu’il faut penser au moment où il le faut. Et la sagesse pragmatique s’acquiert par l’effort extérieur à redonner à nos mouvements la direction véritable par la patience à calquer les faits et gestes du prophète en faisant ce qu’il faut faire au moment où il le faut. En somme, la sagesse nous donne les moyens de réaliser le but en nous octroyant la « Basira » que l’on traduit par clairvoyance, la qualité indispensable qui nous permet de voir la fin dans l’instantané et d’agir en fonction de la fin malgré l’opposition de l’instantané. C’est pourquoi la sagesse n’interdit pas d’agir d’une manière non conventionnelle. Elle peut même nous pousser à agir d’une manière qui paraît illogique selon les repères de la masse. L’exemple d’al Khadir suffit pour démontrer cette assertion.

 

CHAPITRE II

Les deux objectifs de la spiritualité musulmane

 

Les deux objectifs de la spiritualité musulmane est la purification du cœur et l’amour du prochain selon une sentence des évangiles selon Saint Mathieu : « Que tu aimes ton Seigneur de tout ton âme, de toute ta raison et de tout ton cœur et que tu aimes ton prochain comme toi-même. »

 

Le cœur est, effectivement, le siège de notre divinité, c’est-à-dire le lieu où se localise notre but, notre finalité, qui elle, donne un sens à nos agissements. La purification du cœur traduit l’application de la parole : « La ilaha illa llah » qui signifie en français : « Il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu. » Pour que cette purification soit efficiente, il faut d’abord purifier notre vision du monde, le sens des éléments qui nous entourent, nos références, afin d’agir dans le sens de la volonté divine. Il s’agit, au final, de voir à travers le coran et de ne vouloir que ce que Dieu veut en sacrifiant sa personne et ses biens pour réaliser l’intérêt divin et celui de notre prochain.

 

Ainsi, l’objectif premier, du musulman et de la musulmane, est de vider leur cœur des idoles qui se sont accaparées l’espace qui revenait de droit à Dieu. Il existe trois états du cœur : le cœur mort, le cœur malade et le cœur pur. Le cœur mort est celui qui est habité par d’autres que Dieu et qui ne vit que pour ces fausses divinités. Son possesseur est totalement indifférent à l’appel de Dieu et à ses émissaires. Son unique intérêt est de poursuivre ses passions qui le rapprochent de ses fausses divinités. Beaucoup hélas parmi, nos frères et sœurs, ont des cœurs morts ! Le cœur malade est un cœur qui contient la présence de Dieu mais dont l’espace est rivalisé par d’autres idoles qui désirent étendre leur domination. Son possesseur vacille entre l’obéissance et la désobéissance à Dieu. Le cœur pur est un cœur qui est entièrement possédé par Dieu. Le possesseur d’un tel cœur ne vit que par Dieu et que pour Dieu. Il s’est éteint à lui-même et ne recherche qu’à réaliser l’intérêt divin et tout ce qui n’est pas Dieu n’est à ses yeux qu’un moyen de tendre vers Dieu. Le but premier consiste ainsi à purifier notre cœur des idoles qui divisent notre individu afin d’habiller notre être d’une unique volonté, en l’occurrence celle de Dieu dans la finalité d’entrer entièrement dans la « paix », que l’on traduit en arabe par « salam » qui dérive du terme « islam. » Jounayd al Baghdadi ne disait-il pas à ce sujet : « Le serviteur ne sera pas considéré comme un adorateur de Dieu tant qu’il ne sera pas libre d’un autre que Lui. » En effet, celui qui a deux divinités qui habitent son cœur souffrira de satisfaire l’une au détriment de l’autre. Prenons l’exemple de celui qui divinise l’argent, et bien ce dernier souffrira de posséder de l’argent sans pouvoir le dépenser car l’augmentation de ses économies le réjouit et la diminution de ces dernières l’attriste. Il souffrira donc du non sens de son enrichissement car à quoi bon posséder sans profiter de ses possessions. Ne remarquons-t-on pas que les vrais voleurs sont des riches ? Autre exemple, celui qui divinise la femme souffrira de se marier car le mariage le limitera à une épouse alors qu’il les désire toutes ! Il veut se marier tout en répugnant le mariage car ce dernier s’oppose à son but qui est de posséder la Femme avec un grand F. Je vise ici les musulmans pratiquants car chez les non musulmans l’adultère et le libertinage fait partie des mœurs et la douleur prend chez eux la forme d’une dépendance sexuelle assimilable à une drogue. Ainsi, la douleur poursuit perpétuellement celui qui associe une fausse divinité à Dieu car ce dernier ne trouvera jamais pleinement satisfaction puisque rien en dehors de Dieu n’est saisissable dans son entièreté et continuellement : « A Lui l’appel de la vérité ! Ce qu’ils invoquent en dehors de Lui ne leur répondent d’aucune façon, semblable à celui qui étend ses deux mains vers l’eau, pour la porter à sa bouche et qui ne parvient jamais à l’atteindre. L’invocation des mécréants n’est qu’aberration ! »[18] C’est dans cette optique que nous pouvons comprendre le sens de cette parabole : « Dieu vous propose en parabole un serviteur qui a plusieurs maîtres et un autre serviteur qui n’a qu’un seul maître. Le sort de ces deux serviteurs est-il le même ? Louange à Dieu, la différence est claire ! Mais trop peu d’hommes en ont conscience ! »[19] Le musulman ou la musulmane qui aura réalisé l’objectif de la purification du cœur ne connaîtra plus jamais les maux de la démotivation, de la déprime, et de la perte du goût de vivre qui sont de plus en plus récurrents à notre époque ou prime un polythéisme moderne ! Celui du culte de l’argent, du sexe, de l’image ou du diplôme…

 

Le second objectif de la spiritualité musulmane est l’amour du prochain. C’est, en effet, à travers l’autre que nous allons exprimer notre amour pour Dieu. Allah nous dit, en effet, dans une sainte tradition : « Mon amour est accordé à ceux qui s’aiment en Moi, se visitent en Moi, s’assemblent pour me remémorer et font des efforts pour Ma cause. » C’est, effectivement, à la réunion des cœurs pour le triomphe de la cause divine que doit aboutir l’application de la parole « la ilaha illal lah. » Il n’y a, en effet, que cette dernière qui peut unir véritablement les hommes puisqu’en dehors de Dieu, il n’y a que des choses éphémères et limitées qui finiront tôt ou tard par disparaître. Un verset du coran confirme que seul Dieu peut unir véritablement les cœurs : « Il a uni leurs cœurs (par la foi). Aurais-tu dépensé tout ce qui est sur terre tu n’aurais pu unir leurs cœurs mais c’est Allah qui les a unis, car Il est Puissant et le Sage. »[20] Ainsi, toute union qui ne trouve pas sa raison d’être en Dieu est une union qui se brisera quand disparaîtra sa cause éphémère. Je pense ici, que le lecteur ou la lectrice peut illustrer avec maints exemples que beaucoup de relations qu’il ou elle a pu nouer n’étaient que des relations d’intérêts qui se sont brisées après la satisfaction de l’intérêt. C’est pourquoi Abraham disait : « En effet, c’est pour cimenter les liens entre vous-même dans la vie présente, que vous avez adopté des idoles, en dehors d’Allah. Ensuite, le jour de la résurrection, les uns rejetteront les autres et les uns maudiront les autres, tandis que vous aurez le Feu pour refuge et vous n’aurez pas de protecteurs. »[21] Ainsi, ceux qui n’ont pas Dieu pour divinité, s’ils arrivent à s’unir ici-bas ne s’uniront que d’une éphémère union car, en réalité, leurs cœurs ne sont pas unis : « Tu les croirais unis alors que leurs cœurs sont divisés »[22] dit Allah à propos des idolâtres. Il n’y a que de l’animosité et de la rivalité qui peut ressortir de gens qui n’adorent pas exclusivement Dieu ! Que cette rivalité soit palpable ici-bas ou après la mort. C’est à cette rivalité que fait allusion ce verset où Dieu s’adresse à la postérité d’Adam qui refusera de l’adorer exclusivement : « Descendez (du Paradis) ennemis les uns des autres. »[23] On pourrait citer des milliers d’exemples de ces rivalités mondaines, de ces jalousies, et de ces haines qui dressent, autour de nous, les uns contre les autres… A la différence de ces idolâtres qui divinisent aujourd’hui, le sexe, l’argent, le pouvoir ou la notoriété, les musulmans se doivent de s’unir véritablement derrière la cause juste qu’est le triomphe de la vérité en mettant de côté cet ego qui désire constamment briller et triompher des autres ! Ce n’est hélas pas le cas, à notre époque où notre communauté est divisée par des querelles stériles de sectes qui s’excommunient entre elles. Il faut donc savoir que l’aspiration à l’union de la communauté est le second but du musulman, ainsi que le prolongement du premier qu’est la purification du coeur : « Et cramponnez-vous tous ensemble au câble d’Allah et ne soyez pas divisés et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c’est Lui qui réconcilia vos cœurs. Puis, par son bienfait vous êtes devenu des frères. Et alors que vous étiez au bord d’un abîme de feu, c’est Lui qui en a sauvés. Ainsi Allah vous montre Ses signes afin que vous soyez guidés. »[24]

 

CHAPITRE III

La voie de la réalisation spirituelle

 

Il existe une étroite ressemblance entre le cœur et le roi de telle manière que le cœur gouverne le corps comme le roi gouverne ses sujets. D’ailleurs, une tradition mentionne : « Sachez qu’il y a dans le corps un morceau de chair qui, lorsqu’il est sain, tout le corps est sain, et lorsqu’il est corrompu tout le corps se corrompt ; c’est le cœur ! »[25] Nous savons, par ailleurs, que lorsque les mecquois associateurs voyaient grandir la popularité du prophète : « De nouvelles délibérations eurent lieu au « parlement » municipal de la Mecque. Un des plus modérés et des plus sages ; ‘Utbah fut choisi pour se mettre en contact direct avec Mohammed et voir s’il ne pouvait pas le ramener à la raison. ‘Utbah se rendit auprès du prophète et commença à lui parler ainsi : « Mohammed, nous te connaissons depuis toujours comme un homme raisonnable, charitable et aimable. Nous ne t’avons jamais vu faire du mal à personne. Je n’ai pas besoin de te faire part des agitations qu’ont causé tes prédications en public. Dis-moi franchement quel est le but de tout cela ? Est-ce que tu désires de l’argent ? Je te garanti que la ville va amasser autant d’argent que tu voudras. Est-ce que tu désires des femmes ? Prends les plus belles filles de la ville comme tes épouses et je t’assure que nous sommes tous d’accord pour te donner satisfaction. Est-ce que tu désires être à la tête du gouvernement ? Nous sommes prêts à t’élire comme chef suprême, à une seule condition : Ne nous tourmente plus dans notre sensibilité religieuse et notre susceptibilité sociale, ne dis plus que nos idoles, ainsi que tous ceux qui parmi nous ou parmi nos ancêtres qui les ont adorées sont en Enfer. Si tu te sens malade nous chercherons les meilleurs médecins du corps et de l’esprit. Mais nous n’aimons pas les disfonctionnements et les bouleversements dans la ville et au sein de notre société. » Mohammed pour répondre se contenta de réciter quelques versets de la sourate 41. Le professeur Hamidoullah ajoute en commentaire : « La disposition psychologique de ‘Utbah était telle à cet instant qu’il crut que la foudre allait le frapper à tout instant et il implora Mohammed au nom de Dieu de s’arrêter dans sa récitation. Puis il se sauva. En revenant à l’assemblé des Qouraïchites, il leur dit simplement : « faites ce que vous voulez car l’affaire échappe à ma puissance. » »[26]

 

Cet extrait de la vie du prophète est riche d’enseignements pour ce qui concerne notre propos, à savoir la voie de la purification du cœur. En effet, dans cet extrait, on propose au prophète le pouvoir en échange de l’abandon de sa mission mais ce dernier refuse bien que son objectif final soit, à terme, de faire prévaloir la volonté divine au sein de la société. Il y a, à travers ce passage, un enseignement fondamental dans la manière de procéder pour atteindre l’objectif : la conquête du pouvoir doit se faire par le bas c’est-à-dire par la conquête des membres de la société. L’exercice de l’autorité sans la soumission en toute volonté des sujets n’est que tyrannie ! Nous nous devons donc, à l’échelle individuelle, de conquérir, avant tout, les mouvements de nos membres par l’effort spirituel à leur faire sentir du plaisir à obéir à Dieu et de la peine à Lui désobéir. Il y a une interdépendance entre le cœur et les actes du corps tout comme le gouverneur reflète le peuple. C’est pourquoi : « Allah ne modifie point l’état d’un peuple tant que (les individus qui le composent) ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. » Dans ce verset Allah dans sa sagesse pose la priorité dans la voie de la réalisation du but, à savoir commencer par la partie avant de s’attaquer au tout.

 

L’homme se compose de quatre principales parties : son esprit, son cœur, son âme et son corps. On peut faire un élégant parallélisme entre l’individu et la communauté où l’esprit représente la constitution, et où le cœur est assimilable au roi, et l’âme et le corps respectivement à l’armée et au peuple. Quand un état est usurpé par un tyran, le procédé susceptible de le faire chuter est de réunir le peuple derrière des valeurs et une constitution plus équitable pour ensuite les inviter à lutter contre l’armée protectrice du roi, qui lui reste généralement fidèle. Il en va de même à l’échelle individuelle, la méthode de la purification consiste donc, à purifier nos idées et nos croyances directrices dans la finalité de donner la force à nos membres d’obéir à Dieu malgré l’opposition certaine de l’âme bestiale. C’est pourquoi Allah a fait le serment suivant : « Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée, et lui a inspiré son immoralité, de même que sa piété ! A réussit, certes, celui qui la purifie. Et, Est perdu, certes, celui qui la corrompt. »[27] On rapporte à ce sujet qu’un sage a dit : « Que dites-vous d’un compagnon à vous qui, si vous l’honoriez, le rassasiez l’abreuviez et le couvriez, vous conduirait à la pire des issues par contre si vous l’humiliez, l’affamiez, l’assoiffiez et le mettiez à nu, il vous conduirait à la meilleure des issues ? » Les gens présents ont dit : « C’est le pire des compagnons sur terre ! » Le sage rétorqua : « Ce sont vos âmes qui sont en vous ! » Al Nadhr ibn ‘Arab a dit : « Dix-huit hommes de la seconde génération après celle des compagnons dont ‘Ata, Tawus et Moujahid, se sont retrouvés ensemble chez moi dans cette maison. L’un d’eux a dit : « Le combat le plus dur c’est le combat de l’homme contre son âme ! » Ils ont tous confirmé son dire. »[28] C’est pourquoi Abdel Qader al Jilani définissait l’adoration par l’opposition à l’âme et à la passion en citant le verset suivant : « Garde-toi de suivre la passion car elle t’égarerait de la voie qui mène à Dieu. »[29] Ainsi, la méthode consiste à livrer deux batailles :

- Une bataille théorique et argumentative contre les fausses croyances et les fausses idées qui légitiment le pouvoir despotique de ceux qui habitent notre cœur

  • Une bataille pragmatique contre l’âme par la résistance à ses passions illicites

  •  

SECONDE PARTIE

LA PRATIQUE

 

CHAPITRE I

Les stations spirituelles

 

Nous allons dans les pages qui vont suivre proposer un programme de spiritualité composé de sept stations qu’il faut entretenir avec soin. Ces stations sont susceptibles de purifier le cœur de celui qui désire cheminer vers Dieu. En effet, l’absence en notre conscience d’un idéal spirituel à atteindre nous empêche d’endurer dans la voie qui mène à Dieu et nous condamne à ce que j’appelle : « l’anarchie spirituelle, » c’est-à-dire à un comportement hétérogène fruit de volontés disparates dominé par l’âme bestiale et le décor. Il est donc impératif de clarifier avec précision ces stations spirituelles afin que l’itinérant consolide son aspiration à les réaliser. Nous prendrons le soin pour chacune d’entres-elles, de donner sa définition, et d’exposer la voie, les signes, puis les différents degrés de sa réalisation.

 

PREMIERE STATION

L’éveil

 

La première des stations que l’itinérant doit franchir est celle de « l’éveil. » En effet, sans cette prise de conscience de la réalité, on ne peut cheminer vers cette dernière. « L’éveil » se génère par la connaissance du but et par la croyance aux conséquences de la réalisation ou de la non réalisation de ce but. Il s’agit de « se réveiller » avant de se réveiller réellement c’est-à-dire après la mort car comme le disait un sage : « Les gens dorment et c’est une fois qu’ils mouront qu’ils se réveilleront. » C’est donc une station à maintenir car la fatigue frappe indubitablement celui qui entreprend un effort quelconque. Et la fatigue dont il est fait allusion ici, est une fatigue de croyance qui donnera de surcroît plus de force à l’âme bestiale dans son entreprise à poursuivre les passions illicites. Ainsi, l’itinérant doit s’abreuver continuellement de la méditation du coran qui est le livre par excellence de « l’éveil » et du rappel de son but par la prononciation de formules remémoratives. En effet, le coran se partage en trois principales parties :

  • Le Tawhid

  • Les récompenses & les châtiments

  • Les récits

 

Il appartient à l’itinérant de participer régulièrement à des séances « d’éveil » qui lui permettront d’approvisionner sa croyance, sans laquelle on ne peut avancer dans la voie. Ces séances se composeront d’un discours composé de trois parties dont chacune renferme l’un des trois thèmes cités en haut. La voie consiste ainsi à extirper l’itinérant de sa torpeur par l’enseignement de son but et des conséquences de réalisation ou de la non réalisation de ce dernier. Le prophète ne disait pas sans raison : « Renouvelez continuellement votre foi en répétant constamment la parole « la illaha illal lah ! » »[30] L’itinérant ne quittera pas cette station tant qu’il n’abandonnera pas son insouciance et qu’un souci n’habite continuellement sa conscience. Le souci témoigne en effet qu’un objectif non réalisé nous préoccupe intérieurement. Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station puisqu’il y a deux degrés dans la réalisation du Tawhid : « l’éveil » par rapport à l’individu et « l’éveil » par rapport à la communauté. Il s’agit, à l’échelle individuelle de s’éveiller par rapport au droit de Dieu sur nous qu’est l’adoration puis à l’échelle collectif de se réveiller par rapport au droit de la religion sur nous c’est-à-dire notre participation à son triomphe. Le passage du premier degré au second est interdit à celui en qui perdurent des imperfections car les bénéfices extérieurs sont fonctions de la ferveur intérieure et, par déduction, une langue dont le cœur est encore insouciant ne pourra pas captiver les gens. Un verset du coran souligne à juste titre : « Allah ne modifie point l’état d’un peuple tant que (les individus qui le composent) ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. »[31]

 

DEUXIEME STATION

Le remerciement

 

Après « l’éveil » l’itinérant s’installe immédiatement dans la station du remerciement. En effet, après avoir constaté que rien de bien ne peut provenir de son âme alors il ne peut que remercier Dieu de lui avoir permit de sortir de son insouciance. Il constate la grandeur de la générosité et de la miséricorde divine. C’est le moment approprié dira Ibn Al-Qayyim pour rapporter le récit célèbre sur un gnostique : « Pendant un moment de la fuite de son maître il vit dans une ruelle une porte entrouverte d’où était sorti un garçon qui implorait secours et pleurait, et sa mère qui le poursuivait et l’expulsait de la maison. Puis la mère lui ferma la porte au nez et rentra chez elle. Le garçon s’en alla quelques mètres puis s’arrêta pour réfléchir. Il ne trouva d’autre refuge que la maison d’où il avait été expulsé, et d’autre personne pour le prendre en charge si ce n’est sa mère. Il revint sur ses pas, triste, le cœur brisé et trouva la porte fermée. Il s’adossa à la porte et s’endormit. Puis sa mère sortit et en le voyant dans cet état elle ne put s’empêcher de se jeter sur lui pour l’embrasser en pleurant et en disant : « Mon fils ! Comment peux-tu me quitter ? Qui d’autre que moi peut t’abriter ? Ne t’ai-je pas dit : ne me désobéit pas et ne m’impose pas par ta désobéissance à moi ce qui est contraire à ma nature qui est pleine de tendresse pour toi, d’affection pour toi et de désir de bien pour toi. » Puis elle le prit et entra dans la maison. »[32] A partir de ce récit, on comprendra la portée de cette parole du prophète : « Dieu est Plus Miséricordieux envers ses serviteurs qu’une mère envers son enfant. » C’est pourquoi la station de la reconnaissance est fondamentale car elle témoigne de la réalisation du but qu’est la servitude. Un verset ne dit-il pas : « Remerciez Dieu pour ses bienfaits, si c’est Lui que vous adorez ! »[33] Dans un autre verset il dit : « Soyez reconnaissants envers Moi, ne soyez pas ingrats envers Moi. »[34] Le moyen d’atteindre cette station consiste à méditer les bienfaits divins puis par redoubler les actes de reconnaissance en utilisant ses bienfaits pour lui obéir. Que ces derniers se situent au niveau de la langue par des louanges, au niveau de son cœur sous forme de saine sensation et sur ses membres sous forme de soumission et d’obéissance.

Le signe de l’acquisition de cette demeure est une humilité et une modestie fruits du constat que l’on ne mérite pas tous ses bienfaits divins par lesquels Dieu nous comble. Une humilité fruit de la contemplation de l’immensité de la générosité divine qui chasse de notre cœur tout orgueil. On rapporte à ce sujet : « Le prophète s’était mis à prier au point que ses pieds se sont enflés. » On lui a dit : « Tu fais cela alors que Dieu t’a pardonné tes péchés antérieurs et futurs ? » Il répondit : « Ne dois-je pas être un serviteur reconnaissant ? »[35] On rapporte en outre que David a dit : « Seigneur ! Comment vais-je Te remercier alors que mon action de grâce pour Toi est un bienfait pour moi de Ta part ? » Dieu lui rétorqua : « Maintenant tu m’as rendu grâce ô David ! » Cette parole de David témoigne de la réalisation de cette station de la reconnaissance sous forme de vision contemplative.

Il existe deux degrés dans la réalisation de cette demeure. La première concerne la reconnaissance pour les bienfaits de la guidée, de la purification de l’âme et la seconde pour l’élection en vue de la reconstruction de l’édifice prophétique, le sacrifice pour le bonheur des autres et le don de soi pour le triomphe de l’islam.

 

TROISIEME STATION

L’examen de conscience

 

La station de « l’examen de conscience » est la troisième station que l’itinérant doit franchir. Elle consiste à faire un état des lieux en comparant ce qu’on a, de ce que l’on doit. Un verset met en évidence l’importance de cette station : « Ô vous qui avez cru ! Craignez Allah. Que chaque âme voit bien ce qu’elle a avancé pour demain. Et craignez Allah, car Allah est parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. Et ne soyez pas comme ceux qui ont oublié Allah ; (Allah) leur a fait oublier leurs propres personnes ; ceux-là sont les pervers. »[36] Il s’agit concrètement de faire un tableau[37] qui mettra en relief nos actes quotidiens ainsi que les intentions qui les accompagnent dans la finalité de découvrir les idoles et les maladies qui habitent notre cœur et de faire la part des choses entre les obéissances et les désobéissances à Dieu. Il faudra ensuite rectifier progressivement les défaillances par l’aspiration vers l’idéal du musulman au niveau de ses idées et de ses intentions et de son comportement, en acquérant la science susceptible de susciter la pratique des actes d’obéissances. Le signe du franchissement de cette station par l’itinérant se traduit par la présence d’un scrupule dans l’accomplissement de toutes ses affaires. Younes Ibn ‘Abid disait à propos du scrupule : « Le scrupule, c’est de quitter tout ce qui est douteux et d’exiger des comptes à l’âme à chaque clin d’œil. » Al Hassan ajoute : « Le poids d’un atome de scrupule est meilleur que le poids de mille atomes de jeûne et de prière. »[38] Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station, à savoir, un « examen » en vue de parfaire son individu et un second « examen » en vue d’unifier et de fortifier sa communauté.

 

QUATRIEME STATION

La repentance

 

Une fois bien installé dans la demeure de « l’examen de conscience » l’itinérant peut aborder celle de la « repentance. » En effet, après « l’éveil », le « remerciement » et « l’examen de conscience », l’itinérant saisit avoir manqué ce qui lui était essentiel et regrette ses erreurs passées et fournira ensuite l’effort en vue de se racheter. A vrai dire, l’affaire entière repose sur cette station que l’on doit parfaire au cours de notre existence. En effet, cette station traduit la réalisation du Tawhid dans la mesure où elle naît du constat du caractère illusoire de ce qui a pu nous détourner de Dieu. Pour réaliser la station de la repentance, on doit opérer en nous une distinction radicale entre le vrai et le faux et regretter d’avoir poursuivit le faux au détriment du vrai et ensuite abandonner les péchés. Les savants posent plusieurs conditions pour valider la repentance parmi lesquelles : le regret, la cessation immédiate du péché, la ferme résolution de ne plus jamais y revenir, et le rachat dans le cas d’une injustice. C’est pourquoi l’on a dit que la repentance n’est valable qu’après la connaissance du péché. Et ne connaît pas le péché celui qui ne voit pas dans ce dernier trois choses : « L’arrachement à l’immunité divine, le poison que constitue le plaisir de désobéir qui est plus grave que le péché lui-même et l’aveuglement qui naît de l’obstination à ne pas vouloir se racheter. » Quand l’itinérant verra la gravité de ces trois fléaux que recèlent les péchés alors il aspirera à se repentir. En effet, ces trois fléaux traduisent chez le pécheur les imperfections de sa représentation de Dieu. Celui qui est arraché à l’immunité divine est livré à lui-même et celui qui est livré à lui-même sera soumis à son âme bestiale qui, quant à elle, n’aspire qu’au mal ! C’est pourquoi Dieu dit : « N’eussent été la grâce d’Allah envers vous et Sa miséricorde, nul d’entre vous n’aurait jamais été pur. »[39] Ainsi, il est nécessaire d’opérer en notre conscience que tout le bien vient de Dieu et que le mal n’est que le fruit de nos propres mains. C’est pourquoi Dieu dit : « Tout bien qui t’atteint vient d’Allah, et tout mal qui t’atteint vient de ton âme. »[40] A partir de là, on pourra comprendre ce récit prophétique : « Aucun d’entre-vous ne rentrera au paradis par ses œuvres. » On lui a dit : « Pas même toi ô envoyé de Dieu ? » Il a dit : « Pas même moi, à moins que Dieu ne me comble de sa Miséricorde et de sa Grâce. »[41] En effet, à travers ces paroles, le prophète met en évidence le principe précédent selon lequel tout le bien provient de Dieu et que, par déduction, on ne mérite pas le Paradis alors que l’on mérite l’Enfer. Ainsi, l’homme n’a le droit que de se repentir. Et le plaisir qu’il peut tirer de la consommation du péché témoigne de la bonne idée qu’il a de son âme et de la primauté qu’il lui accorde sur Dieu ! Découlera de cette fatuité un aveuglement par rapport à la gravité de ses péchés. C’est pourquoi l’on a dit que le signe de la réalisation de la station de la repentance est l’humilité car l’humble voit ses bonnes actions comme de la poussière et ses mauvaises actions comme des montagnes, il connaît, par conséquent, la petitesse de son âme et par déduction la grandeur de son Seigneur. De cette contemplation naîtra une humilité fruit d’une pauvreté acquise spirituellement. En effet, selon Ibn Al-Qayyim : « Celui qui possède du discernement à l’égard de son âme et à l’égard des droits de Dieu et qui est sincère dans sa quête, son regard qu’il jette sur ses méfaits ne lui laisse aucune bonne action sur laquelle il peut compter. Ainsi, il ne rencontre Dieu qu’avec une faillite totale et une pauvreté pure, parce qu’en inspectant les défauts de son âme et les vices de son œuvre il saura qu’ils ne conviennent pas à Dieu et que cette marchandise qu’il propose ne lui permet pas de se racheter et de se soustraire au châtiment de Dieu, sans compter le fait de gagner la récompense de Dieu. S’il parvient à bénéficier d’une œuvre pure et d’un état spirituel favorable avec Dieu il verra le don de Dieu et sa faveur pour lui et constatera que cela ne procède pas de son âme et que celle-ci n’en est pas digne. C’est qu’il contemple en permanence le don de Dieu en sa faveur avec un œil rivé sur les défauts de son âme et de son œuvre. Voilà la plus sublime des connaissances et la plus bénéfique pour le serviteur ! »[42] Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station, le premier concerne la repentance vis-à-vis des péchés qui nous détournent de Dieu et de la purification de l’âme et le second concerne la repentance vis-à-vis de notre égoïsme et de notre insensibilité vis-à-vis de la douleur future que subiront nos frères et sœurs qui s’éloignent de la voie droite et des sévices que l’on inflige à l’islam de part le monde.

 

CINQUIEME STATION

Le renoncement

 

Après avoir maîtrisé les quatre stations précédentes, l’itinérant s’élance dans la conquête de la demeure du renoncement. En réalité l’affaire entière repose sur cette station qui traduit en quelque sorte l’action de l’unification divine car en renonçant à un autre que Dieu on accorde de ce fait que seul Dieu mérite d’attirer l’attention et d’orienter nos agissements. Un verset énonce effectivement : « Ce qui se trouve auprès de vous s’épuise tandis que ce qui se trouve auprès de Dieu demeure. »[43] Le renoncement consiste à abandonner progressivement ce qui nous éloigne de notre but parmi les choses illicites et licites. L’imam Ahmed disait à juste titre : « Le renoncement comporte trois aspects : le premier c’est d’abandonner l’illicite et c’est le renoncement des gens du commun, le second c’est d’abandonner le surplus en matière du licite et c’est le renoncement des élus et le troisième c’est d’abandonner ce qui détourne de Dieu et c’est le renoncement des hommes qui possèdent la connaissance spirituelle. » Le moyen d’atteindre cette station consiste à reprendre le tableau de « l’examen de conscience » et de renoncer progressivement aux idées fausses et aux péchés qui nous voilent de Dieu. Il s’agit en un mot de sacrifier nos attaches qui nous voilent par rapport à Dieu par l’accomplissement d’actes purificateurs[44]. Les signes de l’acquisition de cette demeure sont le contentement du peu c’est-à-dire que l’itinérant se contente du peu pour cheminer. Jounayd ajoute de son côté : « Le renoncement c’est que le cœur soit vide de ce qui n’est pas dans la main » c’est-à-dire que l’ascète véritable est celui qui ne convoite pas ce qu’il ne possède pas et que la disparition de ce qu’il possède ne fait pas vibrer son cœur. C’est dire que l’ascète véritable peut posséder beaucoup de choses tant que ces dernières n’influent pas sur sa détermination à réaliser sa fin. Ainsi, l’ascète véritable est détaché de tout ce qui ne concerne pas l’affaire de l’au-delà ! Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station, un renoncement par rapport à ce qui détourne de Dieu comme les péchés et les fausses idées et un renoncement par rapport aux activités qui nous détournent de notre devoir vis-à-vis de la religion et de la communauté.

 

SIXIEME STATION

La remise confiante en Dieu

 

La remise confiante en Dieu est l’une des demeures que l’itinérant doit conquérir. En effet, Dieu a dit : « Confiez-vous à Dieu si vous êtes croyants ! »[45] Dans un autre verset, il est dit : « Ceux qui ont confiance en Dieu s’en remettent entièrement à Lui. »[46] Dans un autre verset, il est dit : « Confie-toi à Dieu ! Dieu suffit comme protecteur ! »[47] La remise confiante en Dieu consiste à rompre avec les fausses attaches du cœur et à ne reposer que sur Dieu dans la réalisation de nos desseins. Car tout objectif nécessite un tremplin et notre appui pour tendre vers Dieu ne doit être que Dieu lui-même. Cette connaissance ne doit pas, pour autant, nous éloigner des causes secondes car sans ces dernières « la confiance en Dieu » serait imparfaite. Il s’agit donc d’utiliser les causes secondes dans la réalisation de nos desseins, tout en étant convaincu qu’elles ne peuvent en rien nous être utiles sans l’assistance de Dieu ! Ainsi, « la remise confiante en Dieu » consiste à interdire à l’âme l’accès à la seigneurie et lui faire assumer la servitude en confiant l’affaire à son propriétaire c’est-à-dire à celui qui la détient réellement. Le moyen d’atteindre cette station se situe dans la connaissance et la méditation des noms et attributs divins. En effet, selon Ibn Al-Qayyim: « Le Tawakkul est l’une des stations spirituelles qui a le plus d’attachement aux plus beaux noms divins. En effet, il a un attachement spécifique avec des noms d’actes et des noms d’attributs. Ainsi, il est déterminé par les noms al Ghaffar (Celui qui pardonne), al Tawwab (Celui qui accorde la repentance), al ‘Afuw (Celui qui absout), al Rahim (Le Très Miséricordieux), al Fattah (Celui qui accorde les ouvertures), al Wahhab (Le Donateur), al Razzaq (Celui qui accorde les subsistances), al Mu’ti (Le pourvoyeur), al Muhsin (Le bienfaiteur), al Mu’iz (Celui qui accorde la gloire), al Mudhil (Celui qui fait abaisser), al Hafidh (Celui qui préserve), al Rafi’ (Celui qui élève), al Mani’ (Celui qui empêche). Ainsi, il est déterminé par les noms de puissance et de volonté et par l’ensemble des noms divins. C’est pourquoi certains imams considèrent le Tawakkul comme la connaissance de Dieu. C’est dire que la validité de la station spirituelle du Tawakkul chez le serviteur dépend de sa connaissance de Dieu : plus il connaît Dieu, plus son Tawakkul est solide. »[48]

Le signe de l’acquisition d’une telle station est que l’itinérant s’en remet entièrement à Dieu et ne craint plus rien en dehors de Dieu. Abou ‘Ali al Daqqaq disait : « Le Tawakkul comporte trois degrés : le Tawakkul, puis le Taslim, puis le Tafwid. Ainsi, le serviteur qui assume le Tawakkul s’apaise devant la promesse divine. Celui qui assume le Taslim se contente de la science divine et celui qui assume le Tafwid agrée l’arrêt de Dieu. » Ibn Al-Qayyim ajoute au sujet du Tafwid : « C’est l’esprit du Tawakkul, sa quintessence et sa réalité. Il consiste pour le serviteur à remettre toutes ses affaires à Dieu et à les Lui confier délibérément non par contrainte et nécessité, comme pour le fils faible et impuissant qui confie toutes ses affaires à son père parce qu’il connaît toute son affection, sa bonté, sa maîtrise et son aptitude parfaite à le diriger. En effet, il estime que la direction de son père en sa faveur est meilleure que sa propre direction pour lui-même, qu’il s’occupe mieux de lui. Aussi il ne trouve pas de meilleure solution que de confier toutes ses affaires à son père car il y trouve tout son repos en raison de sa grande confiance dans le pouvoir et l’aptitude de son père. Lorsque le serviteur met son pied dans ce degré, il passe dans la station du contentement. C’est là le fruit du Tawakkul. Ainsi, celui qui explique le Tawakkul par le contentement ne fait que l’expliquer par le meilleur de ses fruits car lorsque le serviteur assume vraiment le Tawakkul, il agrée tout ce que fait celui en qui il met toute sa confiance et à qui il confie toutes ses affaires. »[49] Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station, le premier concerne « la remise confiante en Dieu » en ce qui concerne l’intérêt de notre spiritualité et le second concerne « la remise confiante en Dieu » en ce qui concerne notre dévouement pour la cause de Dieu et de sa religion.

 

SEPTIEME STATION

La patience

 

La patience est l’une des dernières étapes que l’itinérant doit franchir. Elle consiste à consentir à la perte de l’âme en vue de plaire au Seigneur. C’est pourquoi l’on a dit que la patience est pour la foi ce que la tête est pour le corps. Etymologiquement le terme « sabr » qui signifie en arabe patience veut dire « retenue. » Ainsi, la patience consiste à retenir l’âme de se laisser aller comme bon lui semble en lui imposant la conduite idéale prescrite par Dieu dans le coran et modélisée par son prophète. C’est pourquoi un verset énonce : « Impose à ton âme la compagnie de ceux qui invoquent leur Seigneur matin et soir, désirant Sa Face. Et que tes yeux ne se détachent point d’eux, en cherchant (le faux) brillant de la vie de ce monde. Et n’obéis pas à celui dont nous avons rendu le cœur inattentif à Notre Rappel, qui poursuit sa passion et dont le comportement est outrancier. »[50] La voie de l’acquisition de cette station consiste à imposer à l’âme l’obéissance à Dieu par la constance dans la pratique et à empêcher à l’âme de succomber à la désobéissance au moyen de la remémoration de la récompense divine due à cette patience. La patience se génère aussi par la vision de la sagesse divine dans l’épreuve. Les signes de l’acquisition de cette station sont la constance et la régularité dans la pratique, la fermeté dans les aspirations, ainsi que l’absence de plainte et la maîtrise de soi au moment de la colère. C’est pourquoi l’on a dit que la patience c’est de cohabiter avec les épreuves dans la bonne intelligence de la même manière qu’on cohabite avec la bonne santé. Il existe deux degrés dans la réalisation de cette station. Le premier concerne la patience à se maintenir individuellement dans la voie droite en résistant aux attirances de l’âme bestiale et le second concerne la patience à persévérer dans la transmission de la religion en persévérant dans la voie de Dieu.

 

CHAPITRE II

La méthode

 

Le parcours de ces sept stations peut se faire seul ou accompagné d’un guide qui les a déjà parcouru, bien que la présence d’un guide soit plus qu’indispensable. Effectivement, l’imam Ghazali soutenait : « Sache qu’à celui qui suit la voie de Dieu, il faut un maître pour guide et éducateur, qui, par sa bonne éducation, corrigera les mauvais penchants et leur substituera de bonnes habitudes. L’éducation ressemble, en effet, au travail du laboureur qui déracine les épines, sarcle le blé afin qu’il pousse mieux et donne une abondante moisson. Tout homme donc qui désire suivre la vraie voie ne peut se passer d’un maître pour l’éduquer et le guider dans la voie de Dieu. »[51] Le guide aura pour fonction de faire un diagnostic des maladies qui affectent ses disciples puis de procéder à la purification progressive de leur âme en les éclairant par des principes puisés du coran et en leur imposant un programme de conduites purificatrices à accomplir tout en tenant compte de leur capacité. En effet, selon le même Ghazali : « Il n’est pas souhaitable que ton temps reste sans programme ! Tu risques, sinon, de l’occuper à n’importe quelle fin et de n’importe quelle manière, au hasard. Non, tu devrais te contrôler ! Il est noble que tu organises ta part d’activité pieuse de la journée et de la soirée, et que tu précises pour chaque moment une occupation qui ni ne sera augmentée ni ne sera influencée en cours d’exécution par autre chose. C’est seulement par une telle attitude que les bénédictions du temps se manifesteront. Mais, si tu te laisses aller tel un bétail sans savoir de quoi t’occuper à chaque moment, la plupart de ton temps sera perdu, alors que ton temps c’est ta vie ! Et ta vie est ton capital sur lequel est fondé ton commerce. Par ton temps, tu arriveras à la belle vie de la demeure éternelle auprès d’Allah. Chacune de tes respirations est une prière précieuse sans prix puisqu’elle ne pourrait être rattrapée une fois passée. Ne sois donc pas comme ces imbéciles voilés qui sont contents de voir tous les jours leurs biens augmenter alors que simultanément l’échéance de leur vie se rapproche d’eux ! Qu’y a-t-il de bien dans une richesse qui s’agrandit au cours d’une vie qui diminue ? Ne sois heureux que de l’augmentation d’une connaissance, ou d’une bonne action car ces deux choses-là seront tes compagnons dans la tombe au moment où ta femme, tes biens et tes enfants te délaisseront. »[52] Il s’agit avant tout d’entretenir notre éveil vis-à-vis de notre but puis remercier le Seigneur de nous avoir accordé ses faveurs sans lesquelles nous n’aurions pu nous réveiller par rapport à notre but. Il s’agit ensuite de faire un examen de conscience puis d’axer sur l’idole causatrice d’un obstacle d’activité ou de passivité c’est-à-dire respectivement d’une désobéissance ou du non accomplissement d’une obéissance. Il faut ensuite se repentir de cette déficience et renoncer à l’idole causatrice en nous de cette déficience tout en plaçant notre confiance en Dieu dans cette entreprise. Il faudra au final trouver du goût à patienter dans l’effort à réaliser notre but. Ajoutons qu’il faut que chaque station spirituelle acquise soit conservée et entretenue pour conquérir les stations suivantes. Il faut absolument joindre à chacune de ces stations les croyances susceptibles de les déclancher, comme les réalités d’outre tombe ou la perfection des noms et des attributs divins, et ensuite entretenir, développer et parfaire notre connaissance de ces dernières. Après l’éradication de l’idole causatrice de notre déficience et l’abandon du péché, l’itinérant revient à la case départ et aborde de nouveau un autre obstacle et ainsi de suite jusqu’à la purification entière de ses actes corporels et de ses idées. Une fois purifié il abordera de nouveau la station de l’éveil mais cette fois-ci au second degré et s’élancera de nouveau à la conquête des autres stations. Le processus est cyclique et peut se réaliser théoriquement en l’espace d’une veillée spirituelle. Il faudra juste s’assurer que le cycle s’axe sur un obstacle commun au membre du groupe afin de maximiser les bénéfices[53].

En somme, l’affaire se résume à acquérir la connaissance puis à agir en fonction de cette connaissance. Nos deux ennemis qui nous voilent de Dieu sont par conséquent notre ignorance et notre âme ! L’imam Ghazali nous demande à juste titre d’évaluer : « L’état d’un amoureux dont la passion est attiédie et qui considère le visage de son bien aimé à travers une épure, à une distance telle qu’il lui est impossible d’en distinguer la véritable identité ; imagine-le assailli par des scorpions, des guêpes qui l’agressent, l’attaquent, le piquent au point qu’ils deviennent le point focal de ses préoccupations. Sans doute aura-t-il encore quelque plaisir à regarder son bien aimé ! Mais supposons que, subitement, il arrive que le voile se déchire, que la lumière brille, que disparaît tout ce qui peut lui nuire, et que, sain et sauf, dégagé et libre, il soit sous le coup d’une passion foudroyante et d’un désir fou, d’une intention extrême, tu vois d’ici comme sa délectation va décupler, à tel point qu’il n’y aura pas de commune mesure entre les deux délectations. C’est ainsi qu’il faut comprendre la relation qu’il y a entre le plaisir des yeux et celui de la connaissance. Le voile fin et léger symbolise le corps et les soucis qu’il donne. Guêpes et scorpions symbolisent les instincts qui imposent leur empire aux hommes, comme la soif, la faim, la colère, le chagrin, la tristesse ! Tiédeur de l’instinct et de l’amour symbolise l’âme rivée à la terre, incapable d’aspirer au monde supérieur, tout entière portée vers ce qu’il y a de plus vil et de plus abject. »[54] Ainsi, l’affaire se résume à la lutte contre notre âme bestiale au moyen d’une science utile. Le prophète ne disait pas sans raison : « Ce bas monde est la prison du croyant et le paradis du mécréant. »[55] A partir de ce récit on peut déduire que toute science qui ne permet pas l’enchaînement de l’âme bestiale n’est qu’une science futile qui éloigne de la foi. C’est pourquoi un sage disait : « Celui qui augmente sa science et qui n’augmente pas son renoncement à ce bas monde ne fait qu’augmenter la distance qui le sépare de Dieu. » Il s’agit, en somme, de devenir maître de soi même en demeurant dans le juste milieu entre le défaut de la poursuite des passions qui nous rendrait inférieur aux animaux et l’excès par des mortifications illégales de l’âme. L’homme a été créé faible ! Il ne peut se passer d’assouvir certains de ses désirs, d’où le fait que la Loi autorise le mariage par exemple. Les anges n’ont, en effet, pas de passions d’où l’avantage que l’on peut avoir sur eux si nous maîtrisons ces dernières. Cela dit, la Loi musulmane repose sur deux principes fondamentaux : « Ne pas transgresser l’interdit, ni exagérer dans le permis. » Il existe donc bien des limites même dans le permis. Et toute notre spiritualité dépend du respect de ses limites, de cette autorégulation malgré la possibilité de se rassasier. On rapporte que ‘Amir Ibn Abd Qays a dit : « J’ai trouvé que la vie des gens dans le bas monde tourne autour de quatre choses : les femmes, les vêtements, la nourriture, et le sommeil. Pour ce qui est des femmes, coucher à côté d’une femme ou d’un mur m’est tout à fait égal. Pour ce qui est des vêtements, je ne m’en soucie guère du moment que je trouve de quoi couvrir ma nudité. Pour ce qui est du sommeil et de la nourriture, ils m’ont vaincu à moins que je puisse les dominer sans nuire à ma santé. »[56] Si tu arrives à maîtriser les penchants dont tu ne peux te passer en patientant dans la voie qui te mène à Dieu alors ceci révèle que tu chemines dans la voie des véritables soufis et les portes des merveilles de la voie te seront ouvertes ! Tu goûteras, certainement, à la douceur de la foi et au plaisir d’obéir à Dieu ! En effet, le bas monde est le contraire de la vie future et donc celui qui éprouve du plaisir à poursuivre ce bas monde n’en n’éprouvera pas à poursuivre l’au-delà ! On ne peut pas aimer une chose et son contraire en même temps. Celui qui prend du plaisir à faire un acte éprouvera de la peine à faire l’acte contraire. Il en va de même de l’âme qui est l’antipode de Dieu. Lui obéir nous voilera de Dieu et nous interdira de savourer notre adoration tout comme s’opposer à elle nous garantira une pratique vivante et concentrée ! C’est pourquoi quand Abou Yazid al Bistami a vu Dieu en songe et lui a demandé : « Ô Mon Seigneur ! Quelle est la voie qui me mènera à Toi ?» Son Seigneur lui rétorqua : « Abandonne ton âme et viens ! » Abou Yazid a dit ensuite : « Je me suis dépouillé de mon âme comme le serpent se dépouille de sa peau. »

 

CONCLUSION

 

Nous traversons une époque en manque de spiritualité, d’où l’intérêt de cette épître, qui je l’espère comblera ce besoin vital. J’y ai traité les buts et prémisses de la spiritualité musulmane, en exposant une voie composée de sept demeures qui regorgent en leurs seins l’ensemble des autres demeures spirituelles. Un saint disait en effet que l’affaire se résume à la réalisation de trois stations que sont : le remerciement, la patience et la repentance. Je précise, toutefois, que cette voie n’est aucunement la seule qui mène à la vérité mais constitue un chemin comme un autre que nous nous efforçons de parcourir ensemble.

 

Comme vous avez pu le constater la spiritualité musulmane authentique ne consiste pas à écouter uniquement de belles sentences et de belles maximes mais nous impose le devoir de fournir un effort en vue de purifier notre âme bestiale. Beaucoup de prétentieux pensent voisiner les sommets de la spiritualité en défendant des doctrines qui les éloignent de la pratique. Al Hassan Ibn Ad’am disait à juste titre : « Ne te fies pas trop à la parole de celui qui dit : « l’individu est avec celui qu’il aime ». Car celui qui aime des gens suit leurs traces. Or tu ne rattraperas pas les justes tant que tu ne suis pas leurs traces, tu ne t’inspires de leur conduite, et tu ne te conformes pas à leur comportement exemplaire, tu ne restes pas matin et soir dans leur sillage, tenant à être comme eux en suivant leur chemin et en adoptant leur voie même, si tu fais preuve de manquement dans l’ouvrage. Car le maître mot dans l’affaire, c’est que tu te maintiens dans la rectitude. Ne voies tu pas comment les chrétiens aiment les prophètes sans être pourtant avec eux parce qu’ils se sont opposés à eux dans les actes et les paroles et on suivi d’autres voies que la leur ! Ce qui les voue en Enfer, que Dieu nous en préserve. »[57] On rapporte que Ja’far Khuldi vit Jounayd en songe après sa mort, et il lui demanda ce que Dieu avait fait de lui. Jounayd lui répondit : « Toutes ces allusions ésotériques avaient été balayées, tous ces discours théoriques avaient disparu, toutes ces connaissances s’étaient évanouies, tout ce formalisme s’en était allé ; la seule chose qui m’a servi, ce sont ces quelques petites rak’a que nous faisions à l’aube. »[58] Ainsi, la voie de purification de l’âme passe indubitablement par l’effort ! La spiritualité nous permet, quant à elle, de changer notre vision du monde. En effet, celui qui perdure dans la voie de la purification de l’âme s’éteindra dans la contemplation de l’Unique. C’est ce que l’on appelle : « Al fana fi shouhoudi Lah. »

 

La Louange revient à Allah dans son entièreté et que Ses bénédictions se répandent sur son ultime envoyé ainsi que sur sa famille, l’ensemble de ses compagnons et ceux qui, sans les avoir vu, les suivront malgré la succession des époques et des générations.

 

Oua bilahi ta’al taoufiq

Mahdy Ibn Salah

 


[1] Tirmidhi

[2] Ibn Jaousy

[3] Tirmidhi

[4] Boukhari

[5] Le troisième siècle de l’hégire

[6] « Enseignement spirituel », Jounayd p. 190

[7] C24/51

[8] C10/100

[9] « Enseignement spirituel », Jounayd p. 188

[10] « Enseignement spirituel », Jounayd p. 189

[11] « Majmouh Fatawa », Ibn Taymiyya, L6, T11, p. 14

[12] « La voie et la loi », Ibn Khaldoun

[13] « Enseignement spirituel », Jounayd p. 187

[14] C3/164

[15] C4/113

[16] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 454

[17] C2/269

[18] C13/14

[19] C39/29

[20] C8/63

[21] C17/22

[22] C59/14

[23] C2/36

[24] C3/103

[25] Boukhari

[26] « Le prophète de l’islam », Hamidoullah, p. 109-110

[27] C91/7-10

[28] Bayhaqi

[29] C38/26

[30] Ahmed

[31] C13/11

[32] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 113

[33] C2/172

[34] C2/152

[35] Authentique

[36] C59/18-19

[37] Voir Annexe 1

[38] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 284

[39] C24/21

[40] C4/79

[41] Authentique

[42] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 120

[43] C16/96

[44] Voir Annexe 2

[45] C5/25

[46] C14/12

[47] C33/3

[48] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 383

[49] « Les sentiers des itinérants », Ibn Qayyim, p. 382

[50] C18/28

[51] « Lettre au disciple », Ghazali, p. 32

[52] « Initiation à la foi », Ghazali

[53] Voir Annexe III

[54] « Revivification des sciences de la religion », Ghazali, p. 88

[55] Authentique

[56] Bayhaqi

[57] Ibn Jaousy

[58] « Enseignement spirituel », Jounayd, p. 188

 

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