Lors de ma remise en liberté, j’appelle le consul de France et celui-ci me fait comprendre qu’il existe deux issues à mon impasse :
- Soit, je pars à Sofia afin que l’on me refasse un passeport provisoire
- Soit, on m’apporte ma carte d’identité afin que je sorte avec cette dernière
La première solution était impensable car prendre le bus en direction de Sofia qui se situe à plus 300 km présentait le risque que des policiers qui ne connaissaient rien à ma situation me contrôlent, donc incapables de me comprendre et qui n’hésiteront pas, par déduction, à m’incarcérer de nouveau.
La seconde solution était donc la meilleure. Je cherche impérativement un cybercafé et téléphone via skype à des amis en Turquie pour qu’ils m’apportent ma pièce d’identité, car il n’y a pas de cabines téléphoniques dans les rues de Svilengrad ! Je leur demande de venir le plus vite possible car passer la nuit dans les rues de Svilengrad était périlleux, en raison de la surveillance accrue dans cette ville frontalière ! Il ne m’était pas possible, non plus, de prendre un hôtel car je n’avais pas de papiers, ni demander l’assistance à une tierce personne car la loi en vigueur punit de 2 ans d’emprisonnement l’assistanat à une personne en situation irrégulière ! J’étais donc dans une nouvelle prison mais à ciel ouvert ! Je sollicite mes amis turcs afin qu’ils puissent m’apporter ma pièce d’identité, et ne bouge pas du cybercafé dans lequel je me trouvais. Je devais attendre jusqu’à minuit le temps que des turcs nationalisés bulgares me conduisent à la frontière, non sans risque, et d’ailleurs seul le chauffeur était au courant de ma situation, et là un ami turc venant d’Istanbul, m’apporterait ma carte d’identité ! Heureusement, qu’il n’y ait pas eu de barrage durant le trajet, j’ai même invoqué Allah pour cela, jusqu’à l’endroit du rendez-vous… On m’apporte enfin ma carte d’identité et je sors, et avec le même scepticisme des douaniers à l’origine de toute cette histoire, les douaniers de sortie doutent encore de l’authenticité de ma carte d’identité !
On me demande un permis de conduire pour la confirmer ce je ne pus fournir et finalement on me laisse regagner le territoire turc, et croyez-moi qu’à la vue du drapeau rouge, un sourire se dessina sur mon visage par réflexe nerveux tellement j’éprouvai du bonheur à m’éloigner du territoire bulgare !
Me voilà, enfin en territoire turc sans une copie de mon procès, sans aucun document provenant des autorités bulgares prouvant mon récit, à l’exception de ma convocation au premier procès qu’un policier me donna, sans doute par insouciance, comme si l’on voulait m’empêcher d’exiger des réparations sur la base de documents officiels. J’ai appelé mon interprète pour demander une copie de mon procès auprès de mon avocate et celui-ci refusa de répondre à ma requête, ni même de me donner les coordonnées de cette dernière. Les seuls documents prouvant mon récit en ma possession sont par conséquent :
- Mon billet aller retour Istanbul Haskovo daté du 26 avril 2013 réservé en mon nom
- Ma convocation pour le premier procès du 30 avril 2013
- Le tampon de mon entrée en Turquie le 10 Mai 2013 au poste frontalier proche de Svilengrad
- Le répertoire de mes biens effectués par les policiers avant mon entrée en prison
- Reste aussi la preuve que des copies de mon identité ont été demandées depuis la Bulgarie pour prouver mon identité à la préfecture de Seine Saint Denis
- Le témoignage du consul de France en Bulgarie que j’ai demandé
- Je vais aussi donner procuration au consul pour demander en mon nom une copie de mon procès à mon avocate
Je ne compte pas en rester là, je compte me plaindre auprès de la cour européenne des droits de l’homme afin d’exiger des indemnités car :
- J’accuse la Bulgarie de ne pas respecter la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’endroit de son article 5 :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales »
Privation de mes papiers d’identité et libération sans l’obtention de documents officiels prouvant mon innocence
- J’accuse la Bulgarie de ne pas respecter la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’endroit de son article 14 :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Délit patent de faciès !
- J’accuse la Bulgarie de ne pas respecter la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’endroit de son article 3 :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Insalubrité, humiliation et corruption des gardes, et séquestration
- J’accuse la Bulgarie de ne pas respecter la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’endroit de son article 6 :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement »
Figuration et corruption des avocats
- J’accuse la Bulgarie de ne pas respecter la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’endroit de son article 6, alinéa 2 :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie »
Chantage à la séquestration et proposition d’accords d’incarcération !
Je ressorts, en final, de cette épreuve que plus renforcé et en tire 5 principaux enseignements :
- Le rapport avec les gens injustes
- La condamnation absolue de l’oppression illégitime
- L’importance de placer sa confiance en Allah
- L’importance d’une communauté solidaire
- L’importance d’un état fort
J’ai remarqué, en effet, qu’il ne servait à rien de « répondre au mal par le mal » et que c’était un signe de faiblesse que d’être affecté par la méchanceté humaine et de se mettre en colère contre mes bourreaux. J’ai donc pris sur moi, à l’exemple de Jésus, en regardant derrière les méchants, l’épreuve d’Allah, et ce comportement m’a valu effectivement la gentillesse et l’assujettissement du chef des gardiens qui m’autorisa à téléphoner quand je le désirai, et était prêt à m’acheter la nourriture de mon choix alors que certains de ses officiers en son absence conservaient la même sévérité à mon endroit et me privaient des avantages octroyés durant sa présence, malgré leur crainte que je pouvais lire dans leur regard perçant…
Ayant été opprimé injustement, j’ai compris la douleur que peuvent éprouver tous les innocents victimes d’injustice et d’oppression, et donc au lieu de me radicaliser comme peuvent le faire les faibles d’esprit, et les individus qui ont été torturés, j’ai décidé quant à moi, au nom du droit des opprimés, de condamner toutes les formes de terrorisme par lesquelles, on tue et effraie ici et là des personnes innocentes qui n’ont aucun lien avec les conflits ou les prises de position idéologiques hostiles ! Même si je sais que les véritables terroristes sont ceux qui, en occident, veulent nous écarter de notre réelle identité, de sorte que l’on ait peur de pratiquer notre religion authentiquement, et qu’on ne soutienne pas, par conséquent, un frère ou une sœur opprimée du fait de sa foi !
J’ai compris aussi qu’il ne fallait pas reposer sur un autre qu’Allah parmi les proches et les causes secondes car à titre d’épreuve, il peut nous fermer toutes les portes des solutions afin que l’on se tourne vers lui en toute exclusivité et que l’on manifeste notre détresse et notre besoin de Lui et que l’on perdure comme David dans cette action.
J’ai compris aussi, en observant des incarcérés isolés l’importance d’une famille et d’une communauté solidaire car sans un soutien extérieur, sans les personnes soucieuses de votre situation et de votre état, il est impossible d’espérer se libérer de l’injustice quand cette dernière vous prive des libertés et des droits les plus essentiels et humains comme entrer en contact avec des proches par exemple.
J’ai compris, aussi, l’importance de posséder un Etat fort pour les musulmans, où tous est responsable de chacun et chacun responsable de tous, car une communauté même soudée est parfois impuissante à venir en aide à des opprimés d’un système car pour lutter efficacement contre un système il faut un autre système, c’est-à-dire un Etat chargé de défendre les droits et les intérêts de tous ses sujets, et ce, où qu’ils puissent se trouver dans le monde !
J’ai compris, enfin, l’importance des structures actives sur le terrain, organisations qui soutiennent concrètement les opprimés dans leur détresse telles que Sanabil[1] et Au cœur de la Précarité[2]… Et j’invite les frères et les sœurs à les soutenir dans leur action !
Mahdy Ibn Salah