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Written by Mahdy Ibn Salah  •  Category: Actualité  •   •  Hits: 2311

 

Je suis convoqué Mardi 30 Avril à 15h45 pour mon procès. On me menotte et deux policiers m’escortent au tribunal de Svilengrad. Le même interprète est là, et avant la séance ce dernier et mon avocate demandent mon approbation pour une prolongation de mon incarcération, ce que je refuse formellement ! J’ai compris par la suite que mon procès n’était qu’une mascarade car le pouvoir décisionnel était entre les mains du procureur qui avait décidé de prolonger mon incarcération et mon avocate était apparemment au courant avant le début du procès. Je n’ai pas compris pourquoi on n’avait pas encore prouvé que je fusse bien moi-même, car la démarche me semblait d’une simplicité déconcertante, alors que parallèlement le consul avait annonçé ma libération prochaine en raison de l’effectivité de l’authenticité de mon passeport !

 

Durant ce procès, j’ai été choqué du réquisitoire de mon avocate car elle a défini, devant le juge, mon infraction comme n’étant « pas grave », ce qui impliquait qu’à ses yeux, j’étais coupable ! Coupable alors que quelques minutes après, elle demanda toutefois ma libération, à la vue de mon insistance, mais uniquement par des paraphrases c’est-à-dire juste en énonçant un texte, sans lui apporter aucune preuve, ni information nouvelle au dossier de départ ! En d’autres termes, elle n’avait rien fait entre le samedi 27 avril de l’interrogatoire et le Mardi 30 avril du procès ! Pas même, un appel à l’ambassade de France pour vérifier que j’étais bien moi-même ! A quoi pouvait-elle donc servir ? A faire semblant surement de respecter le droit d’un détenu à avoir un procès équitable ! Mais, il n’y avait pas d’équité car tous et toutes marchaient ensemble dans leur décision à poursuivre mon incarcération qui ne reposait sur aucune preuve, si ce n’est cette fameuse certitude du chef des douaniers ! La photo d'une tête d'arabe, en plus barbu, ne devait sûrement pas coller, selon eux, avec un passeport français d'où leur accusation de falsification de la photo...

 

Je commence à comprendre que pour eux que j’étais coupable et qu’à défaut de trouver des preuves, ils allaient patienter durant mon incarcération dans l’espérance soit de trouver autre chose contre moi, soit que je fasse des aveux ! Et effectivement on m’envoya, par la suite, un responsable de l’immigration qui ne me posa plus de questions sur mon identité et mon inculpation comme s’il savait déjà que j’étais innocent mais qui m’en posa d’autres, cette fois-ci sur ma religion, mon engagement religieux afin de me lier probablement à une affaire terroriste… Je compris dès lors que j’avais affaire à des personnes qui n’aiment pas avoir tort et qui était capables, selon moi, de « fabriquer » des preuves par des mises en situation susceptibles de générer une inculpation « légitime »… Je renonce donc sagement à organiser une opération de communication contre l’ambassade de Bulgarie en France, bien que j’aurais pu réunir du monde, car la liaison entre mon identité administrative et mon identité militante aurait certainement aggravé ma situation surtout quand un autre Mehdi[1], un an auparavant, a été soupçonné par les médias locaux de l’unique attentat « islamiste » perpétré sur le sol bulgare à l’encontre de touristes israéliens ! Je savais qu’un « petit » rapprochement entre moi et l’islamisme m’aurait coûté très cher en Bulgarie !      

 

Je suis reconduit en cellule pour une prolongation de mon incarcération de 10 jours ! Mon interprète me dissuade de faire appel car cela reviendrait à la même chose selon lui, ce que je refuse formellement. On me réincarcère cette fois-ci avec un détenu qui s’appelait Eric et qui était d’origine ivoirienne donc parlant français. Ce dernier avait pris 13 mois de prison, les 6 mois du sursis puis les 7 mois liés à son infraction qui était la vente de cannabis, ce qui est interdit dans les rues en Bulgarie. Il me raconta aussi que son procès était une supercherie car il a certes été arrêté en possession de 2g de cannabis mais le cannabis est en vente libre dans les coffee shop à Sofia et le prétendu acheteur n’a pas été arrêté par les policiers. En d’autres termes, ils n’avaient aucune preuve réelle contre lui, si ce n’est le témoignage des policiers qui ont vu un échange. A ce témoignage, Eric répondait que rien ne prouve qu’il ait donné du cannabis, il a très bien pu donner autre chose ! Lors de son procès, son avocate et le procureur lui proposèrent un accord, faire des aveux afin de clore la procédure et s’il refusait alors il risquait de rester environ 5 mois à Svilengrad alors qu’il avait déjà passé 1 mois et 2 semaines ! Il accepta l’offre car la vie à Svilengrad lui était insupportable ! Il me dit qu’il en fut de même pour l’algérien incarcéré pour du tabac à chiquer qui, soulignons-le, n’est pas interdit en France. Il avait passé 3 mois à Svilengrad, et son transfert fut la conséquence de son acceptation encore d’un accord par lequel il accepta et signa son incarcération ! Nous commençâmes à comprendre, Eric et moi, la philosophie de la justice bulgare qui consiste à chanter les détenus au moyen de la prison de Svilengrad, qui est effectivement plus un centre de torture psychologique qu’une prison ! Je me souviens de la joie qu’éprouvait Eric lorsqu’on lui annonça son transfert pour Sofia, lui dont l’exténuation se manifestait par des expirations régulières de lassitude...

 

Durant les 5 jours qu’il passait avec moi, il me raconta ce qui l’avait mené ici car il avait vécu une dizaine d’années en Hollande avant d’être expulsé en Afrique. Il connaissait toutes les voies illégales de l’acquisition de papiers d’identité :

- La doublure qui consiste à refaire une identité mais avec une photo différente

- La maladie c’est-à-dire en usurpant l’identité d’un vrai malade atteint du VIH par exemple

- Le mariage blanc et le regroupement familial

- La constitution d’un dossier de demande de passeport avec des faux documents

- La fausse reconnaissance d’un enfant

- La falsification de passeports ou de pièces d’identité

- L’achat d’un passeport dans un pays comme le Panama où les visas sont gratuits pour l’Europe

 

Il me parlait aussi des arnaques ivoiriennes par internet, et la plus impressionnante selon moi est celle qui s’opère par la complicité des banques locales, qui font des virements virtuels de sorte que la victime occidentale croie au stratagème et paie les commissions demandées pour le déblocage de la somme présente dans son compte !

 

 Eric voulait revenir en Europe et retenter sa chance dans un autre pays que la Hollande car il lui était interdit de fouler son sol, et l’Europe entière d’ailleurs, durant 5 ans. Il possédait une bible que j’empruntais pour lire de temps à autre car c’était la seule activité que je pouvais avoir, étant donné que l’on m’avait empêché d’écrire ! Je finis les psaumes de David, qui ressemblent d’ailleurs étroitement au Coran et note trois types de fautes à l’intérieur du dit texte:

- Certains passages révèlent que ce n’est pas David qui s’exprime car des réprimandes indignes d’un prophète sont faites à Dieu d’avoir délaissé justement son engagement vis-à-vis du peuple d’Israël

- Il est dit au psaume 51 que David serait né d’une conception illicite !

- Il invite à chanter et danser la gloire de Dieu par le luth et la harpe

 

Mis à part ces trois types d’erreur, les psaumes témoignent magnifiquement de la grandeur et de la seigneurie divine !

 

Eric est transféré le Lundi 6 Mai à Sofia, il fera une escale d’une journée à la prison de Haskovo. Entre temps, des nouveaux détenus s’ajoutent à ma cellule, deux algériens clandestins et deux turcs en possession de stupéfiants. Les premiers étaient restés avec leurs amis (ils étaient 7 individus) un jour et une nuit entre la Turquie et la Bulgarie car aucun des douaniers des pays concernés ne voulaient les prendre alors qu’ils avaient bien pénétré le territoire bulgare ! Les moustiques les avaient traumatisés ! Les mains et les pieds de l’un d’entre eux étaient recouverts de démangeaisons et les gardiens refusaient de l’hospitaliser ! Durant cette interminable journée de 24h, seuls les turcs leur donnèrent à boire car ils n’avaient aucune subsistance ! Ces algériens me firent rire car ils se firent passer pour des palestiniens et parlèrent avec leur interprète palestinienne avec un dialecte algérien ! Les turcs, quant à eux, étaient d’une laideur comportementale qui intensifiait la lourdeur de mon emprisonnement car ils ne pouvaient pas composer une phrase sans y inclure des insultes à répétition ! 

 

On me convoque, pour aller à Haskovo le mercredi 8 Mai, menotté et introduit dans une voiture à cage avec deux autres détenus bulgares. On me transferre à Haskovo et là je suis incarcéré dans une cellule avec un Macédonien et deux turcs. Le premier a été attrapé avec 6 kilos de narcotique et risquait entre 6 et 10 ans de prison, le second avec 40 000 tablettes d’ecstasy risquait la même peine, et le troisième est accusé de trafic d’armes mais sans aucune preuve matérielle ! Cela faisait 5 mois qu’il était à Haskovo, une prison similaire à Svilengrad, à la seule différence que la cellule est plus spacieuse et que les détenus ont le droit de marcher dans une cour fermée de 15 m² environ, sans vue sur l’extérieur, issue de la cassure du mur qui sépare deux cellules ! Mais c'était toujours mieux que Svilengrad...

 

Je me souviens du cercle vicieux à l’origine de mes maux de tête car j’étais fatigué de n’avoir rien fait durant mon séjour de 14 jours à Svilengrad et me délivrer de cette fatigue en marchant sur de petites longueurs de 4m à Haskovo, me fatiguait autant ! Je me fatiguais donc à vouloir quitter ma fatigue et m’arrêtais, par conséquent, à cause de mes maux de tête… Aussi, le troisième détenu turc qui était d’origine kurde a été maintenu en prison avec la même philosophie que celle de Svilengrad. A défaut d’avoir des preuves, la justice incarcère jusqu’aux aveux ! A la rigueur, si cette détention provisoire pouvait s’opérer dans un cadre légal, je comprendrais, mais dans une prison qui ressemble plus à un centre de « séquestration », ce n’est ni plus ni moins qu’une manière habillée de torturer psychologiquement afin de pousser les détenus à signer des accords d’incarcération ! Je suis persuadé que le Comité européen pour la prévention de la torture ignore l’existence de ces cellules placées en haut des commissariats ! La Bulgarie signataire de la Convention pour la Prévention de la Torture camouffle certainement ces cellules sous le couvert de salles réservées d’ordinaire pour des gardes à vue ponctuelles alors que des détenus y séjournent, bel et bien, de longues périodes ! En témoigne l’inscription « 222 days » de ma cellule de Haskovo!

 

 Voilà donc mes nouveaux compagnons de cellule ! Après le monde de la clandestinité, me voilà en plein dans le monde de la mafia car la Turquie et la Bulgarie sont des portes capitales entre l’Asie et l’Europe dans le transport de l’héroïne en provenance d’Afghanistan et de drogues en provenance d’Hollande ! Moi, l’accusé de ne pas être lui-même est incarcéré dorénavant avec des mafieux ! Mais malgré tout cela, tous les chefs d’inculpation de mes codétenus, les meilleurs moments de mon incarcération en Bulgarie, je les ai passés avec eux ! On partageait le repas ensemble, mon premier repas en Bulgarie, dans une fraternité mémorable et je m’attristais de voir ces pères de famille ne pouvoir voir grandir leur propre enfant à cause de leur infraction. Je me souviens apprendre au macédonien, sur sa demande, une invocation inscrite sur le mur par un sénégalais de passage par cette cellule qui énonçait : « La haoula wa la qouta ila bilah al ‘aziz al hakim, hasbouna llah wa ni’ma al wakil » qui signifie : « Il n’y a de force et de puissance qu’en dieu, le puissant, le sage, et il nous suffit, quel excellent garant ! »

 

Le jeudi 9 Mai 2013 on me conduit au tribunal de Haskovo, menotté et mis dans la cage d’un véhicule de transport de prisonniers. Nous nous dirigeons au tribunal et je suis escorté, à l’entrée de la salle d’audience, par 4 policiers. Le consul de France en Bulgarie avait dit que je serais jugé en français car j’étais français, mais il n’en sera rien ! On m’apporte encore un traducteur arabe qui parle plus le dialecte jordanien que le littéraire. Les juges me posent des questions et le procureur apporte enfin les preuves de mon identité. Une vérification de celle-ci a été faite et l’on a remonté, par déduction, jusqu’à la mairie des Pavillons sous bois où je résidais au moment de la délivrance de mon fameux passeport falsifié ! Les juges se retirent et délibérèrent ma libération immédiate paradoxalement à la confiscation de mon passeport !

 

Durant le retrait des magistrats, mon avocate totalement absente, encore une fois, du terrain de l’argumentation ne fit que confirmer la requête du procureur et m’exposa l’éventualité d’une nouvelle incarcération, mais cette fois-ci, dans un camp pour réfugiés car je suis libre mais sans papiers puisque mon passeport est confisqué ! J’en rigole tellement était stupide cette attitude de ne pas vouloir me délivrer de l’impasse dans laquelle on allait m’orienter !

 

Finalement je suis libre, et les gardes à la sortie ne me mettent pas les menottes, ni ne me mettent dans la cage arrière du véhicule, ce qui provoqua la colère de leur supérieur qui était le chauffeur, et qui, visiblement, était répugné à l’idée de me voir libre, et ce, même avec un document du tribunal sous les yeux ! On me conduit à la prison pour récupérer mes affaires, mon avocate m’accompagne à Svilengrad pour récupérer mes biens et l’on me laisse à la rue sans aucun papier d’identité, et, malgré mes demandes, aussi sans aucun document du procès prouvant mon innocence comme si l’on voulait cette fois obtenir une raison légale à une éventuelle nouvelle incarcération, cette fois-ci « bulgarement » légitime, car l’on m’avait prévenu que si je me faisais contrôler dans les rues de la ville, j’étais visiblement en situation irrégulière, donc passible d’une nouvelle incarcération !

 
 
 
 
A suivre...
 
 
 
 
 

[1] Mehdi Ghezali décrit comme un citoyen suédois, avec des origines algériennes et finlandaises. Il avait été détenu à Guantanamo à Cuba entre 2002 à 2004, après avoir étudié dans une école religieuse musulmane et une mosquée en Grande-Bretagne, puis s’était rendu successivement en Arabie saoudite, en Afghanistan et au Pakistan.
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