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Written by Mahdy Ibn Salah  •  Category: Actualité  •   •  Hits: 2561

 

Je suis transféré le soir à la prison Svilengrad et l’on réitère le protocole de fouille corporelle complète. On me conduit ensuite dans ma cellule. Nous sommes 6 individus dans celle-ci et sa superficie ne dépasse pas les 8m²,  j’avais pris le soin de la mesurer, avec 4 lits dont deux superposés, ce qui signifie que deux détenus devaient indubitablement dormir par terre. Les murs sont entachés d’inscriptions et de gravures… On pouvait lire sur le plafond « Blida signé Loqman» écrit avec la flamme d’un briquet, et sur le mur avec un stylo « Je sortirai de votre territoire quand j’aurai retrouvé ma liberté signé Steve », sûrement un africain qui avait vécu en France car il mentionnait les villes de la région parisienne : « Pantin, Villejuif, Noisy…», sur la porte était inscrit en arabe : « Ajmalou chaï fil hayat al houria » qui signifie : « la chose la plus belle dans ce bas monde, c’est la liberté… » Et l’on pouvait voir, ici et là, des croix et des barres indiquant le nombre de jours passés dans la cellule par des détenus !

 

Les cellules étaient obscures, éclairées toutes par des néons 24h/24 et possédant une grille donnant sur le couloir, de l’autre côté duquel se trouvaient des fenêtres donnant quant à elles, Dieu merci, sur l’extérieur où coulait une magnifique rivière. Je dis « magnifique » car les paysages banals de l’extérieur me semblaient à cet instant d’une féérie indicible car à la longue, par rapport à l’endroit où je me trouvais, c’était un moyen de m’évader et de me libérer d’une forme de torture subtile que constituait la prison dans laquelle on m’avait incarcéré !

 

En effet, nous n’avions pas de cour pour nous promener au moins une fois dans la journée et nous devions rester, par conséquent, 24h/24 dans notre cellule sauf pour les 10 minutes (5 fois 2 minutes) de permission d’aller aux toilettes (7h, 12h, 17h, 19h, 22h) durant la journée où nous avions le droit de parcourir les 10 mètres aller, et les 10 mètres retour du couloir en direction des WC. C’était les seuls moments où je m’arrêtai, quelques instants, durant le trajet pour contempler le paysage avant qu’un garde ne me crie à la figure de retourner en cellule quand mon esprit tentait de s’évader par la contemplation du paysage.

 

 Ainsi, nous restions environ 23h45 par jour dans une cellule immonde, et ce, jusqu’au jour de notre procès sans compter les moqueries et les sévérités des gardiens qu’un détenu corrompait au moyen de paquets de cigarette afin de marcher dans le couloir plus longtemps que les autres. Mon procès avait lieu mardi, soit trois jours plus tard ! Concernant l’immondice dans la cellule, j’en étais arrivé à la conclusion, tellement elle était sale, que le personnel de la prison n’avait certainement jamais lavé les oreillers et les matelas de cette dernière depuis la création de la dite prison car effectivement on pouvait sentir les odeurs et voire des tâches d’urines sur les matelas ! Les oreillers, sûrement de couleur blanche à la base, avaient noirci par la saleté de la somme des différents visages qui ont dû se poser sur ces derniers, ce qui pouvait donner un aperçu de la durée du non entretien ! De fait, les détenus recouvraient tous leurs oreillers d’un habit en guise de taie. La plupart des détenus étaient des clandestins. Ces derniers ne restaient que trois jours dans cette prison ensuite ils étaient transférés dans un camp pour réfugiers, plus propre et surtout avec plus de liberté !   

 

Dans ma cellule, il y avait un guinéen qui se faisait passer pour un somalien, un kurde iraquien, deux syriens, et un iranien. Le premier me faisait rire car il parlait français et ne connaissait rien de la Somalie, quand l’Iraquien qui avait vécu en Norvège avant d’être expulsé, parlait un petit peu en somali, des pirates et des shebab, nous rions à l’unisson au constat que ce prétendu somalien ne connaissait rien de son propre pays ! Mais bon, celui-ci avait choisi la Somalie car il n’y a pas d’ambassade somalienne, donc c’était une assurance pour lui de ne pas être expulsé directement. Il ne savait pas que la Bulgarie avait une toute autre politique concernant l’immigration : Obligation de rester 3 ans minimum pour ceux qui sont entrés illégalement et incarcération immédiate pour ceux qui s’aventureraient à sortir illégalement, et ce même pour faire marche arrière, en direction de la Turquie !

 

Le second, iraquien était étrange car étant très expérimenté du terrain, il connaissait bien la Bulgarie et parlait plus de 6 langues (arabe, kurde, russe, anglais, norvégien et turc). Il devait sûrement travailler pour les bulgares, en vue de confondre les détenus. D’ailleurs c’est avec lui qu’on me menotta pour la prise d’empruntes du samedi. Notons ici que cette opération n’a été réalisée que par mon co-détenu ; en effet, mes empreintes n’ont pas été relevées … J’ai donc déduit de cela que cette « promenade » avec cet individu avait très certainement pour but de me faire « avouer » ou dire des choses qui seraient susceptibles d’être retenues à mon encontre.

 

Le premier syrien me faisait rappeler Papillon de Franklin J. Schaffner, car il avait tenté à quatre reprises de rentrer en Bulgarie, le pantalon entièrement déchiré, avec la même détermination de Steeve McQueen à vouloir s’échapper. Le deuxième syrien ne parlait que de mariage et de la manière d’obtenir les papiers par cette voie, et l’iranien se disait médaillé en lutte aux jeux olympiques de Sydney... Durant les jours qui précédèrent nos procès, les gardes ne nous donnèrent au début pratiquement que du porc à manger alors que la quasi-majorité des détenus étaient musulmans. J’étais écœuré de voir l’iraquien et le guinéen mâcher cette viande prohibée comme du chewing-gum. Le tabac était permis ce qui m’était insupportable car la cellule était étroite et le bon air qui était déjà rare devenait carrément absent quand plusieurs personnes fumaient simultanément! Sans oublier qu’à défaut d’avoir des cigarettes, le guinéen en fabriquait avec du papier journal. Pour ma part, je refusai de manger leur nourriture qu’elle soit à base de porc ou non car j’avais la valeur « qu’un opprimé ne doit jamais manger la nourriture de son oppresseur ! » Et j’étais innocent de ce que l’on m’accusait donc je n’ai mangé aucun de leur repas du début jusqu’à la fin de mon incarcération à Svilengrad, soit durant une période de 14 jours !

 

 Nous échangions durant cette période et j’ai compris que certains pour rejoindre l’Europe étaient prêts à « vendre leur mère », pour prendre une expression susceptible de traduire adéquatement l’intensité de leur volonté car tellement était forte leur détermination ils étaient prêts à endurer les pires épreuves pour atteindre leur eldorado : marcher dans l’eau, la nuit, dans la brousse, sous une avalanche de moustique, voire dormir dans les bois, sans eau, sans nourriture, parfois avec des femmes et des enfants afin, peut être se disaient-ils, d’accélérer le processus de légalisation une fois réfugiés… Un marocain d’une cellule d’à côté racontait qu’il avait parcouru, lors d’une expérience passée, 20 jours à pieds ne marchant uniquement la nuit pour ne pas se faire repérer afin de rejoindre Thessalonique, une ville de Grèce, à partir de Edirne en Turquie !  

 

 Et malheureusement tout ces efforts pour rien car les bulgares possèdent par la grâce des gouvernements Allemand et Suédois des caméras infrarouges, détecteurs de mouvement et de chaleur pouvant couvrir une zone de 7 km chacune ! Au bout du compte, ils sont pratiquement tous arrêtés après leur franchissement de la frontière et conduits ensuite dans un camp avec 6 mois de sursis, associé à un devoir de rester 3 ans minimum en Bulgarie, sauf pour ceux qui désirent signer leur déport au pays d’origine volontairement en prouvant leur véritable identité.

 

Mais, revenons aux conditions de ma « détention », entre guillemets car le terme le plus adéquat serait plutôt « séquestration » puisque nous restions enfermés H24, nous n’avions pas le droit d’appeler, de parler avec les détenus des autres cellules, de posséder un stylo, et le droit à la douche ne se limitait qu’à une seule fois par semaine ! Je parle de « séquestration » même si le terme signifie en substance : « retenir une personne contre son gré » car lorsque l’on me convoqua pour mes prises d’empruntes et de photos de face et de profil avec un numéro en bas du visage comme les criminels de la télévision, je me rappelle du bonheur que je pouvais tirer à contempler les paysages naturels du parcours. Je compris dès lors, qu’il existe une forme subtile de torture, qu’est la privation sensorielle que les détenus non avertis, hélas, ne pourront dénoncer. Si j’écris aujourd’hui, c’est au nom de ces nombreuses personnes qui ne peuvent se défendre puisque déconsidérées, et ignorées car étant sans papiers, parfois isolées c’est-à-dire sans l’appui d’amis ou d’une famille, donc incapables de se défendre devant un système, et ce, afin de décrire leur souffrance, de mettre des mots aux douleurs injustes qu’ils peuvent subir, ici et là, dans des prisons cachées et reculées, afin que cessent tous les traitements portant atteinte à leur dignité, puisque sans cette action, il est impossible de dénoncer les injustices et de confondre par conséquent les Etats criminels!

 

 Je désire, par déduction, ici mettre sur papier ce que j’ai vécu afin aussi qu’on n’oublie pas ; la mémoire étant préventive de la récidive.  Car le fait de retrouver la liberté est aussi un piège pouvant nous mener à oublier l’injustice et donc à fermer les yeux sur les nombreuses personnes qui aujourd’hui, hier ou demain, ont été privées de leurs droits les plus humains car je demeure convaincu qu’il existe un droit universel à respecter par tous comme le droit au respect, ou le droit à la liberté de jouir des sens naturels comme la vue et l’ouïe ! Un droit dont sont privés les détenus musulmans de Guantanamo par exemple… Et, pourtant la Bulgarie est signataire de la : « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » ainsi que de la : « Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »[1]

 

En effet, la privation sensorielle est une méthode de torture psychologique mise au point par la CIA vers les années 50. Cette méthode physiquement non-violente consiste à réduire les perceptions sensorielles que sont l'audition, la vue, le toucher, puis à isoler le sujet des contacts humains et des stimulations extérieures par l'enfermement dans une pièce étroite. Nous n’avions certes pas connu la privation des sens mais nos mouvements étaient limités et cadrés par les gardes, nous étions privés des stimulations du monde extérieur et nos contacts humains se limitaient uniquement aux détenus de notre cellule ! Nous étions censés rester que trois jours dans ces conditions mais à côté, je sais que certains restaient bien plus longtemps, vu les gravures dans les murs, il y avait même un détenu à côté de ma cellule qui devait rester minimum 5 mois dans ces conditions en raison de son incarcération pour trafic de stupéfiants ! Un algérien était resté, quant à lui, trois mois dans ces conditions avant d’être transféré à Sofia pour avoir consommé du tabac à chiquer ! Il frôlait la folie, il ne mangeait plus, vomissait ce qu’il pouvait avaler, et criait tout le temps à quand son transfert au point où les autres détenus se réjouirent de son départ tellement il pouvait perturber l’enceinte de la prison par son malaise incontrôlable ! En effet, la prison de Sofia était une prison digne de ce nom c’est-à-dire avec cour, télévision, salle de sport, salle de classe, douche et toilette à volonté, et surtout « liberté » à l’intérieur du complexe…

 

En final, les conditions de détention étaient en elles-mêmes insupportables, additionnées au fait que j’étais innocent elles devenaient carrément un châtiment car psychologiquement comprendre son incarcération allège naturellement la peine et la douleur issue de celle-ci ! Et tout ceci ajouté au fait que j’ai développé une forme de claustrophobie consécutive à une constipation provoquée par ma maltraitance que j’extériorisais par la pensée, pour contenir une crise de panique, au moyen d’une course circulaire interminable sur les murs de la cellule dont la rapidité défiait les lois de la pesanteur ! C’était les moments les plus difficiles de mon incarcération. Je compris après coup que le mécanisme de la claustrophobie résultait de « l’absorption contraignante » de démons avoisinants qui ne supportaient pas de rester dans le corps absorbeur !    

 

 

 

A suivre...

 

 

 

 

 

 

   



[1] Dans un arrêt daté du 26 octobre 2000, la Cour européenne a affirmé que « l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de l’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention et que, eu égard à ces exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration de soins médicaux requis ». Par cet arrêt, la Cour a procédé à un élargissement de la notion de « traitements dégradants » en ayant recours à la notion de dignité humaine, établissant ainsi un seuil objectif à l’article 3, qui peut s’appliquer indépendamment d’une volonté d’humilier le détenu. La Cour s’attache désormais à l’impact moral des mesures prises par les autorités pénitentiaires, sans nécessairement en rechercher les effets physiques ou psychiques sur le détenu. Elle exerce un examen méticuleux des conditions de détention (surface, lumière, ventilation, hygiène des locaux, alimentation, etc.) et apprécie les actions entreprises par les autorités pour les améliorer. Par ailleurs, elle tient également compte, dans son appréciation, de l’effet cumulatif des conditions de détention et de l’existence ou non d’une justification aux mesures employées. Pour la Cour, lorsqu’un détenu allègue de façon défendable qu’une mesure prise à son encontre constitue un traitement dégradant, il doit pouvoir la soumettre au contrôle d’un juge avant qu’elle ne soit exécutée ou qu’elle n’arrive à terme, en application de l’article 13 de la Convention (en liaison avec l’article 3). S’agissant de la protection de la santé, les détenus doivent bénéficier de traitements médicaux appropriés. D’autre part, le maintien en détention d’un prisonnier en mauvais état de santé est susceptible de constituer un traitement dégradant.
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