Je vous avais posé une question lors de votre dernière conférence, à Saint Denis, au sujet de l’identité musulmane. Ma définition de celle-ci reposait sur 3 axes :
- Le Tawhid
- La Omma
- Le khilafat
Par ces trois axes, je définissais ainsi l’identité du musulman et de la musulmane sur deux plans : l’individuel et le collectif. Un musulman et une musulmane, adorent, ainsi, exclusivement leur Seigneur et participent, individuellement et collectivement, à l’instauration, à la protection et à la victoire de la société idéale, qui doit reposer sur la parole de Dieu dans la gestion de ses affaires afin de justement défendre efficacement les intérêts de leur communauté de foi. Le Prophète a comparé, effectivement, la communauté musulmane à un corps et a mis en valeur par cette parabole la responsabilisation de chacun d’entre nous vis-à-vis de la douleur de nos frères et sœurs de foi. Ainsi, le musulman n’est complet que lorsqu’il participe à l’épanouissement de sa communauté de foi ! Je ne pense pas que vous ignoriez que la « Nation » peut être une forme de « divinité » ! Dès lors peut-on être musulman et français si être français, c’est aimer et glorifier la France au détriment de l’amour et de la glorification de Dieu, sachant que cet amour peut se traduire par des actes ?
C’est donc pourquoi je vous ai ensuite posé la question suivante : « Peut-on être considéré comme un véritable musulman si nous participons au triomphe d’une société qui n’est pas musulmane ? » Et, sans répondre clairement à ma question, c’est-à-dire sans commencer par dire : « Oui ou non, » vous vous êtes opposé à cette terminologie. Vous n’étiez pas d’accord avec la formulation de cette définition car elle s’attaquait à une pièce maîtresse de votre pensée : « La vision binaire ».
L’utilisation du terme « triomphe » connotait, chez vous, une « logique d’opposition » et donc une « vision binaire. » Vous avez traduit le verbe : « Li youzhirahou » du verset[1] sur lequel je me suis appuyé pour démontrer le second plan de ma définition de l’identité musulmane par : « Afin de faire apparaître » sans poursuivre la traduction de la suite du verset car la particule qui suit ce verbe est « ‘Ala » qui implique, malheureusement pour vous, une logique d’opposition. En effet, si la finalité consiste « à faire apparaître sur » alors l’Islam doit « dominer » ou plutôt « surplomber » les autres systèmes organisationnels. Ce qui ne peut avoir lieu sans une lutte contre ceux qui ne voudront jamais délaisser leur prérogative, c’est-à-dire les dictatures en place…
Ainsi, la « vision binaire » est incontournable, voire même nécessaire, et votre action trahit votre pensée car vous luttez bien plus que vous ne témoignez de votre foi. Personnellement, je ne pense pas que vous voulez réellement en finir avec cette vision, du moins, de manière absolue, car cela impliquerait que vous acceptiez que le musulman et la musulmane disparaissent dans l’identité environnementale, ce que vos écrits démentent ! Les opposés doivent, afin d’assurer la perpétuation de leur existence, se livrer bataille. C’est par les contraires que les choses se distinguent. C’est une tradition de Dieu que de vouloir : « séparer et distinguer » afin d’éprouver, et surtout au niveau de la croyance et de la mécréance ! La logique de réaction est donc indispensable à la réalisation de l’identité musulmane : nous devons vérifier les caractéristiques propres du musulman et simultanément réagir par réaction aux caractéristiques propres des mécréants.
Pensez-vous réellement qu’il faille en finir avec la « vision binaire », ce qui impliquerait que vous tolériez la dépersonnalisation ! Ainsi, votre pensée s’opposerait aux nombreux textes du Coran et de la Sunna qui vont dans le sens de l’opposition verbale, scientifique et physique entre les partisans du faux et ceux de la vérité, textes qu’il serait inutile de citer ici car je doute que vous les ignoriez…
Si, vous ne vous opposez pas à cette « vision binaire » alors pensez-vous que votre manière de formuler les choses soit la meilleure ? La plus bénéfique ? Celle qui consiste à dire les choses sans mentir mais aussi sans les dire réellement, afin de satisfaire les deux parties antagonistes que sont les musulmans et les non musulmans de France. Notre débat sur la notion du « bien et de la justice » illustre bien mon propos : en effet, vous avez dit que «contribuer à la société française, c’était contribuer dans le bien. » Mais à quel bien faisiez-vous allusion ? Car la notion de bien comme celle de justice est une notion relative qui s'articule autour de trois points de vue :
- Le bien « rationnel [‘aqli]» propre à tous les êtres humains comme sauver une vie. Tous les hommes peuvent participer à l’accomplissement de ce bien.
- Le bien « confessionnel [milli] » qui est propre aux religions monothéistes comme la croyance en l’unicité divine.
- Le bien « légal [shar’i] » qui est propre à la religion musulmane comme la prière, le respect de la législation divine…
Est-ce que vous vous allez jusqu’au troisième degré de la signification du « bien » quand vous soutenez qu’il faut « contribuer dans le bien ? » Ou bien votre vue se limite-t-elle au premier degré ? Car si, vous, vous allez jusqu’au troisième degré et bien sachez que beaucoup de musulmans vous suivent aveuglément, ou pas assez profondément, et pensent que l’on peut agir dans une unité parfaite avec des non musulmans et qu’ils peuvent contribuer à l’épanouissement d’une société qui s’élève par le rabaissement des musulmans dans le monde !
J’aimerais que vous éclairiez mon esprit en ce qui concerne votre position sur la question car vous faites partie des rares personnes que j'aime malgré l'importance du fossé qui nous sépare, surement en raison de votre profonde sincérité qui oblige tout croyant sincère à incliner son coeur ! En somme, pour ma part, un musulman authentique n’a que deux issues dans une société non musulmane :
- Soit, il se perd dans l’identité environnante, s’assimile et délaisse sa pratique ou fait d’elle une simple culture
- Soit, il patiente les épreuves qu’il subira du fait de sa foi authentique
Pour moi, nous vivons dans une demeure de « lutte » et pas dans une demeure de « témoignage».
Votre Frère en Dieu
Mars 2009
